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Jacques LEVY
Le tournant géographique. Penser l’espace pour lire le monde
Paris, Belin, Collection Mappemonde, 1999, 400 p

mardi 2 septembre 2003, par Jean-François Joly

L’ambition de cet ouvrage est clairement affirmée dès le titre qui d’emblée donne à la géographie un objectif précis qui l’inscrit dans le champ des sciences sociales puisqu’il s’agit de prendre en compte la dimension spatiale de l’étude des sociétés. Le livre est structuré en deux parties, cinq sous-parties et quatorze chapitres ; il correspond à uns structuration bien précise tout en reprenant le plus souvent des contributions déjà parues soit dans des revues ou des ouvrages collectifs. Ainsi peut-on concevoir de lire les chapitres isolément et/ou dans le désordre mais il est logique de suivre l’agencement voulu par l’auteur qui, dans un premier temps « Des mots », réfléchit sur la démarche géographique avant d’envisager des recherches concrètes sur des objets géographiques comme les villes (« Des Choses »).

La première partie est d’une lecture ardue, foisonnant de références de sciences sociales et de philosophie : il s’agit de dégager « un champ de pertinence de la recherche géographique », « les conditions de possibilités d’une intelligence de l’espace des sociétés ». Le premier chapitre met en évidence l’importance de la distance que les sociétés gèrent par trois méthodes, le transport, la télécommunication, la co-présence (la ville). C’est l’occasion de montrer la contradiction entre l’automobile et la ville, la première introduisant « la logique de l’écart au cœur même de son contraire qu’est la ville ». Plus globalement est posé le problème central de la justice spatiale car « la communication de tous avec tous entraîne logiquement une limitation des distances » et le décalage de l’échelle de décision par rapport aux populations est de plus en plus fréquent. Le second chapitre « l’âge de raisons » vise à définir le cadre de pensée scientifique de la réflexion géographique oscillant entre les trois pôles de la démarche : cohérence, pertinence et accessibilité. L’apport de la philosophie est jugé fondamental pour bâtir un « constructivisme réaliste » c’est à dire une construction à volonté universelle ouverte à des apports extérieurs qui obligeraient à faire des ajustements, voire des révisions ; cette construction se bâtit sur le terreau de cinq matrices intellectuelles : le néo-positivisme, le structuralisme, l’individualisme méthodologique, le post-modernisme et les philosophies du sujet, matrices dont il s’agit de prendre « les aspects les plus productifs tout en éliminant les plus critiquables ». Le troisième chapitre « L’acteur dans le système, le système dans l’acteur » est d’abord l’occasion pour l’auteur de faire un bilan critique du marxisme où la société était « une machinerie sans régulation interne » : le politisme y nie l’autonomie de l’économie, l’économisme y mine la sociologie et le sociologisme y tue le politique ! et de prouver que le marxisme est « une hérésie écclésiale qu’on peut résumer par le mot communisme » ; dans la foulée, J.Lévy prend ses distances avec le structuralisme où « les sociétés ont seulement les hommes pour effets et, non aussi, pour causes » et propose , après avoir revisité Kant et Tocqueville, un systémisme de la complexité. « L’esprit des lieux », titre du quatrième chapitre, fixe alors l’horizon de notre discipline. J.Lévy réagit contre la réhabilitation récente de Vidal de la Blache même si ce sont ces disciples qui ont bloqué durablement la recherche dans notre pays, marginalisant des gens comme A.Siegfried ou J.Gottman : l’approximation consistait à « englober nature et société dans une unité molle » et textes à l’appui de dénoncer « le fardeau-Vidal ». une démarche théorique de rupture se construit désormais fondée sur la complexité née d’une dialectique entre acteurs et systèmes (l’auteur préfère d’ailleurs dialogique à dialectique). Après avoir analysé les conditions de cette rupture épistémologique en France, comparée à la situation des pays scandinaves ou anglo-saxons, l’auteur annonce que désormais la guerre est finie car plusieurs lignes de clivages qui opposaient les géographes sont dépassées : géographie physique/géographie humaine, réalité/représentation, qualitatif/quantitatif, particulier/général, singulier/universel. L’espace des sociétés pourra dès lors être exploré d’une triple manière : analytique (au sens de l’analyse spatiale), thématique (incluant les apports des autres sciences sociales), synthétique (visant la singularité des lieux). Le chapitre 5 « Pour en finir avec l’espace-temps » permet à l’auteur une réflexion théorique sur les deux concepts et leurs relations, leur évolution dans le temps et leur actuelle articulation : la démarche géohistorique qui articule les lignes de force du temps long et le jeu des acteurs présents du temps court permet de construire « l’intelligence du présent ». Notons au passage qu’il peut être profitable de lire ce chapitre pour réfléchir à l’association de nos deux matières dans l’enseignement français. Le chapitre 6 « Penser avec l’espace » s’interroge sur les langages de l’espace et également sur le récit. J’avoue avoir décroché sur cette vingtaine de pages qui comme le chapitre précédent est une reprise d’un article paru dans « Espace-Temps ». Cette réflexion théorique m’a semblé casser la dynamique de la progression des chapitres précédents qui faisait émerger la substance de la quête géographique ; on retrouvera plus loin avec le chapitre 12 concernant espace et musique le même problème, à savoir que l’agencement subtil d’écrits antérieurs n’engendre pas forcément chez les lecteurs la même perception logique de progression de la pensée que chez l’auteur. A cet égard, la seconde partie consacrée à des recherches concrètes apparaîtra plus abordable à beaucoup. Quatre chapitres sont consacrés à la ville, objet géographique qui le vaut bien si l’on pense que c’est l’horizon de vie d’une fraction sans cesse croissante d’hommes. Le postulat de l’auteur est important : la ville a besoin de densité dans la diversité, c’est un « géotype de substance sociétale fondé sur la coprésence » répondant à la gestion des distances par les sociétés. L’urbanité est alors le meilleur rapport interactions sociales/étendue. J.Lévy s’attache alors à donner des instruments de mesure de l’urbanité après avoir critiqué les nouvelles aires urbaines de l’INSEE, distinguant urbanité absolue (la masse) et urbanité relative (l’intensité des liens urbains) ; ainsi Tokyo forte de ses densités et de ses transports publics présente une urbanité largement supérieure à Paris et Los Angeles. Suivant leur degré d’urbanité, il oppose les modèles totalement opposés d’Amsterdam et de Johannesburg. La métropolisation ne pouvait échapper à l’étude, traduisant un nouveau cycle urbain où les logiques spatiales de l’industrie sont moins présentes. La question est complexe car on se situe dans une double logique de territoires et de réseaux : l’auteur rappelle à juste titre que des nœuds ne deviennent pas ipso facto des pôles (ou ils ne polarisent qu’eux-mêmes, voir certaines gares ou échangeurs !). De même l’essor de l’Internet, du télétravail ne remettent pas en cause la ville, le cyber diminuant « la part relative des déplacements à faible potentialité créative ». L’enjeu majeur est celui du gouvernement de la ville conditionné par l’échelle de la prise de décision : la proposition est faite que la définition de l’espace métropolitain soit le fait d’un organisme indépendant créé par la loi car les obstacles à une démocratie urbaine sont très forts qu’ils proviennent de féodalités locales ou des partisans d’un Etat fort. Le chapitre 11 intitulé « Qui a peur de l’espace du politique » s’inscrit dans une logique thématique et une volonté de l’auteur de promouvoir la géographie politique longtemps discréditée. Qui dit politique dit territoire or la difficulté provient que les territoires sont de plus en plus emboîtés et insérés dans des réseaux (exemple du pays basque, espace politique ?). Il distingue à juste titre géopolitique et géographie du politique et propose un encart de huit pages « communisme, fascisme et géographie » où il conclut que la mise en situation géographique rend la comparaison légitime. Dans une même optique thématique se situe le chapitre suivant « Les promesses de l’improbable : espace et musique ». Nous est proposée une approche à deux échelles : une géographie musicale de l’Europe et, suite au travail de T.W.Adorno, une étude de cas sur Vienne débouchant sur l’examen des territoires et réseaux de la musique viennoise. Pour finir, l’auteur s’interroge sur la recherche d’espace dans la pratique d’écoute de la musique et plus largement sur l’analyse scientifique des phénomènes artistiques. Les deux derniers chapitres sont eux d’essence synthétique en s’intéressant à deux lieux : le monde et la ville de Los Angeles. Les quatre plans de lecture du monde dans laquelle s’inscrit la mondialisation contemporaine sont rappelés (différentes civilisations, rapport entre Etats, réseau économique hiérarchisé, société-monde). L’existence d’une société-monde est débattue et J.Lévy montre que la mondialisation n’est pas un changement d’échelle de plus mais qu’elle présente des spécificités : des Etats à la fois acteurs et freins, le poids des réseaux, un événement non guerrier, des acteurs géographiquement multiples et un enjeu sociétal, non communautaire. L’occasion aussi de rappeler que la mondialisation n’efface pas le rôle décisif des localisations, qu’elle est « une fabrique de lieux » que le rapport entre territoires et réseaux est complexe avec cette évolution qui fait que désormais c’est le contrôle des réseaux qui permet la maîtrise des hommes dans leurs territoires. Le chapitre se termine par six questions concrètes concernant la mondialisation : la crise financière asiatique, la place des Etats-Unis, la compétitivité des lieux, les groupes sociaux face à la mondialisation, le déficit politique à l’échelle mondiale, les leçons de la guerre du Kosovo. L’examen de Los Angeles permet de montrer qu’une urbanité sans métriques pédestres « augmente l’échelle et la profondeur des discontinuités par rapport aux villes de type européen » accumulant fragmentations fonctionnelle et résidentielle.

Au final, ce livre se révèle passionnant par toutes les interrogations qu’il suscite et par les pistes qu’il défriche. Plusieurs sens pourront par ailleurs être donnés au « tournant » : dans une vision épistémologique de la discipline, c’est la construction d’un nouveau paradigme ; c’est également l’insertion de la géographie au sein des sciences sociales dans une perspective interdisciplinaire. Les deux sont liés et donnent une visibilité forte à notre réflexion : « La géographie a fait son propre tournant le jour où les géographes ont compris qu’elle n’était « science des lieux », que des lieux des hommes ». L’espace est fondamentalement une composante de la complexité du social et la géographie, suivant les termes de l’auteur qui excelle dans l’usage des mots « est un pays émergent au sein du continent sciences sociales ». Bâtir une géographie mondiale des lieux est donc la tâche exaltante proposée ! Pour y participer, fusse modestement, il importe, il est vrai de franchir le cap de cette lecture ardue par son niveau théorique et par sa constitution très dense de contributions autonomes reliées par un fil directeur. Ce livre prolonge, il est vrai, les travaux précédents de l’auteur et donc la connaissance des ouvrages préalables, tels en particulier « Le Monde : espaces et systèmes », « L’espace légitime » ou encore « L’Europe, une géographie » et/ou une familiarité avec la revue « Espace-Temps » permettront incontestablement au lecteur de mieux apprécier la moelle de ce livre.

 

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