XIIe siècle. La description d’Alexandrie selon Ibn Djubayr
vendredi 14 mai 2004, par
Laurent Albaret
Date :
Espace concerné : Orient médiéval - Égypte musulmane
Source et édition : Ibn Djubayr, Voyages, trad. M. Gaudefroy-Demombynes, Paris, 1949, I, p. 40-43
Célèbre voyageur et lettré andalou, Ibn Djubayr naît en Espagne, à Valence, en 1145, dans une famille arabe qui s’est fixée dans la région depuis plusieurs siècles (vers 740). Son père est fonctionnaire. Il fait ses études à Játiva (sciences religieuses, belles-lettres, poésie), devient secrétaire du gouverneur almohade de Grenade. Il entreprend un pèlerinage à La Mecque pour se repentir d’avoir bu du vin : il part de Grenade en février 1183, se rend à Alexandrie en bateau, puis visite l’Égypte, passe en Arabie en traversant la Mer Rouge, reste neuf mois à La Mekke. Il rentre en traversant l’Irak [passe cinq jours à Bagdad], la Syrie, la Terre sainte et la Sicile ; arrive en Andalus en avril 1185. Il effectuera un deuxième voyage plus court en Orient (1189-1191). En 1217, il repart pour Alexandrie où il enseigne, il y meurt la même année.
"Tout d’abord, l’heureux site de la ville et l’étendue de sa surface construite. Nous n’avons point visité de ville dont les voies d’accès soient plus vastes ni les édifices plus hauts ; qui soit plus belle et en même temps plus vivante que celle-ci ; les souks, eux aussi, sont extrêmement animés. C’est une merveille de sa situation que ses constructions souterraines soient aussi considérables que celles qui sont à la surface, qu’elles soient plus belles et plus solides ; car l’eau du Nil traverse, sous terre, toutes les maisons et les rues ; les puits sont tout proches les uns des autres et ils communiquent entre eux.
Parmi les merveilles [de cette ville], l’une des plus importantes que nous ayons vues est le phare dont Dieu, par les mains de ceux qu’il soumit à ce travail, fit un signe pour ceux qui cherchent à connaître la vérité et pour les voyageurs un point de repère. Sans lui, ceux-ci ne trouveraient point leur route vers le continent d’Alexandrie : il est visible à plus de soixante-dix milles [...].
Le sultan a poussé la sollicitude envers ces étrangers venus de si loin jusqu’à ordonner d’installer des bains où ils peuvent se baigner quand ils en ont besoin et de fonder un hôpital où sont soignés ceux d’entre eux qui sont malades : il y a établi des médecins qui examinent leur état et, sous leurs ordres, des serviteurs que ceux-ci chargent de veiller à l’exécution des prescriptions de traitement et de régime qu’ils édictent pour leur bien. Il y a appointé aussi des gens chargés de visiter les malades qui s’abstiennent de venir à l’hôpital, particulièrement parmi les étrangers ; ces personnes expliquent leur cas aux médecins, afin que ceux-ci prennent en main leur traitement.
C’est encore un bien noble dessein qui a conduit le sultan à attribuer aux étrangers errants sur les chemins, quel que soit leur nombre, deux pains par personne et par jour ; il désigne pour veiller à cette distribution quotidienne un homme de confiance, agissant en son nom ; on en arrive chaque jour à deux mille pains, ou même davantage, selon le nombré plus ou moins grand des quémandeurs. Cette institution fonctionne en permanence [...].
Les habitants de cette ville sont au comble du bien-être et de l’aisance en leurs affaires, car ils ne sont chargés d’aucun impôt ; le sultan ne tire d’eux aucun profit, hors les waqfs qui sont biens de mainmorte constitués par lui pour ses fondations, la taxe de capitation des Juifs et des Chrétiens et la part qui lui revient sur la zakâ des métaux précieux et qui est des trois huitièmes, les cinq autres étant affectés aux fondations. Le sultan qui a créé ces louables institutions et qui a instauré ces règles généreuses, méconnues depuis bien longtemps, c’est Salah ad-dîn Abou-l-Mozaffar Yousouf b. Ayyoub - Dieu veuille joindre en sa faveur la paix et l’approbation ! »
La description d’Alexandrie selon Ibn Djubayr
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