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Bourin, Monique, et Martinez Sopena, Pascual
Pour une anthropologie du prélèvement seigneurial dans les campagnes médiévales (XIe-XIVe siècles). Réalités et représentations paysannes
Paris, Sorbonne, 2004, 700 p., coll. ‘Histoire ancienne et médiévale’ 68

mercredi 21 juillet 2004, par Ghislain Baury

Ghislain Baury enseigne l’histoire et la géographie en section européenne de langue espagnole au lycée Van Gogh à Aubergenville (78).

L’histoire des campagnes d’inspiration marxiste est aujourd’hui l’objet de critiques qui visent l’épuisement de ses méthodes élaborées dans les années 1960 et l’excessive noirceur du tableau de la société médiévale auquel elle aboutit. Depuis la fin des années 1990, une équipe de chercheurs s’efforce de renouveler cette approche en faisant usage de catégories d’analyse empruntées à l’anthropologie, et notamment des réflexions de James C. Scott sur les rapports entre dominants et dominés. Le programme dirigé par Monique Bourin et Pascual Martínez Sopena dans un partenariat original entre les universités de Paris I et de Valladolid concerne plus précisément les seigneuries rurales. Le colloque tenu en 2000 à Medina del Campo constitue un jalon important au terme d’une première moitié de l’enquête consacrée au point de vue paysan, un renversement de perspective qui a conduit à préférer l’expression « prélèvement seigneurial » au syntagme traditionnel « rente seigneuriale ». Autour du noyau franco-espagnol, des médiévistes de toute l’Europe ont été sollicités pour offrir une perspective comparatiste à l’échelle de l’Occident. Cet épais volume réunit vingt-quatre contributions présentées à cette occasion. Rédigées en français, anglais ou italien (les résumés trilingues français, anglais et espagnol en élargissent l’audience), elles sont systématiquement illustrées par des cartes de localisation bienvenues et de riches transcriptions de sources. Les intervenants ont appliqué à des espaces variés un questionnement prédéfini présenté en introduction. Le choix des mots et des concepts revêt une importance primordiale pour traiter d’un sujet controversé qui s’inscrit dans la polémique entre la théorie holiste du féodalisme, que ce recueil étaye indirectement, et celle plus segmentaire d’une société seigneuriale distincte de la féodalité juridico-politique. Une première partie consacrée à l’historiographie n’est pas de trop pour tirer au clair les sous-entendus idéologiques qui donnent parfois, selon les pays, des sens différents à des mots identiques. Chris Wickham rappelle que les travaux de Georges Duby ont depuis les années 1960 focalisé le débat français sur la distinction - dont la pertinence est contestée - entre seigneurie foncière et seigneurie banale ou personnelle, la seconde étant jugée plus contraignante pour la paysannerie. Largement diffusés en Europe, ils ont constitué un modèle particulièrement bien reçu en Italie, où il colle à la réalité de la signoria (Sandro Carocci), et surtout en Espagne, où il a participé à la lutte idéologique contre le franquisme (Pascual Martinez-Sopena) ; depuis les travaux de Pierre Bonnassie, la Catalogne occupe même une place centrale dans la réflexion sur le servage en Occident (Paul Freedman). Timothy Reuter explique qu’il n’en a pas été de même en Allemagne, où ce furent les études locales et non le marxisme qui éveillèrent l’intérêt pour le système seigneurial.

Parmi les sources, les chartes de franchises ont été privilégiées : les coordonnateurs proposaient d’y chercher des indications sur la nature des redevances (banale ou foncière), l’évolution de leur poids, et la vision qu’en avaient les paysans. Benoît Cursente est parvenu à faire apparaître dans ces textes, pour la France méridionale, les résistances des élites villageoises (la seule catégorie audible) aux exigences nouvelles des seigneurs, et à percevoir leurs motivations. Le discours des dominés se fait toutefois entendre tardivement : il faut attendre le XIIIe et surtout le XIVe s. pour voir en Bourgogne les protocoles étudiés par Patrice Beck se faire l’écho de la nature des requêtes adressées aux seigneurs. Hors de France, trouver un parfait équivalent heuristique des chartes de franchise pose problème. Dans l’espace germanique, Joseph Morsel s’est arrêté aux Weistümer, des aveux de droits réalisés régulièrement par les échevins du village lors de plaids seigneuriaux, mais où s’exprime surtout le point de vue des dominants, comme l’indique leur vocabulaire. En Castille, Pascual Martínez Sopena s’attarde sur les fueros buenos, redéfinitions du droit consécutives à une résistance parfois violente des dépendants ou actes fondateurs destinés à attirer des colons (notamment dans les territoires rendus disponibles par la Reconquista), qui mettent en évidence un processus d’affranchissement continu tout au long de la période. François Menant observe en Italie un mouvement similaire, contemporain du phénomène communal des XIIe et XIIIe s. auquel il est étroitement lié.

La partie suivante est consacrée au problème des corvées, un point essentiel du débat historiographique mais aussi du vécu des rapports entre paysans et seigneurs. Ghislain Brunel indique les trois pistes les plus prometteuses : les chartes de franchises, où les exemptions ciblées révèlent les clivages des communautés villageoises, le vocabulaire lu dans la toponymie, qui montre le caractère plus ou moins coercitif des services de travail, et les sources littéraires, miroir de l’imaginaire seigneurial. Isabel Alfonso brosse ainsi le tableau de la Castille, où les paysans insistaient pour qualifier de volontaires leurs prestations, une évolution sémantique qui leur permettait ensuite de soulager le poids juridique et économique de la dépendance. Mais, en s’appuyant sur le cas de l’Italie septentrionale, Francisco Panero remet en question le lien que l’historiographie établit traditionnellement entre le servitium et le servage, ainsi qu’entre sa disparition et l’intensification de la circulation monétaire. La Haute-Allemagne fournit un exemple d’inversion de sa valeur symbolique : la lourde charge (trois jours par semaine) du XIIe s. était acceptée parce que le discours des dominants lui avait donné l’image positive d’une caritas liée à la necessitas du maître ; au XIVe s., une obligation beaucoup plus légère (trois jours par an) était considérée comme vexatoire car opposée au salariat, la forme de travail dominé désormais la plus valorisée (Julien Demade). Les espaces britanniques étudiés par Wendy Davies se singularisent en revanche par la faible importance des corvées, apparues d’ailleurs tardivement, par rapport aux redevances en nature.

Une dernière section, qui occupe plus du tiers de l’ouvrage, rassemble les études de cas pour lesquelles les participants étaient invités à croiser les thématiques précédentes. L’exemple de l’Angleterre orientale permet à Phillipp Schofield d’établir que les aspirations paysannes à la sécurité économique ont joué un rôle au moins aussi important dans la conversion monétaire des redevances que les stratégies seigneuriales. En observant en Rhénanie inférieure le passage à une gestion domaniale où prédominent les baux à ferme, Dieter Scheler perçoit cette même évolution comme une transformation des relations de domination en relations de marché. Il reste difficile de se prononcer sur l’évolution du degré de contrainte, comme le montrent Carlos Reglero de la Fuente pour le royaume de León, où l’on constate pourtant la disparition progressive des corvées, et Emmanuel Grélois pour la Basse-Auvergne, où l’identification même des paysans est malaisée car les petits seigneurs, par le jeu des liens féodaux, sont à la fois percepteurs et contributeurs. Près de la frontière avec l’Islam, les villageois - notamment les élites à cheval - bénéficiaient de conditions très favorables dans le Portugal des XIIe et XIIIe s. (Stéphane Boisselier) ou dans le royaume de Valence des XIIIe et XIVe s. (Enric Guinot Rodríguez). La situation en Toscane (Simone Collavini) et dans le Piémont méridional (Luigi Provero) confirme le caractère variable du prélèvement seigneurial, en fonction notamment de la position dans la hiérarchie villageoise, et son évolution vers plus de stabilité et d’homogénéité. Enfin la Bretagne se caractérise selon Daniel Pichot par l’absence de servage et un prélèvement seigneurial relativement modéré. Le recueil foisonne de problématiques nouvelles et de réflexions stimulantes, et l’enseignant qui s’y plongera pour mettre à jour ses cours de cinquième ou de seconde en retiendra l’image vivante et actuelle d’une histoire du féodalisme en plein renouveau méthodologique. Son abord ardu ne doit pas décourager : si l’ensemble est peu démonstratif, cela tient au choix d’un plan de travail, à l’application mécanique de la grille d’analyse initiale qui rend certaines monographies redondantes, et à l’hétérogénéité des situations qui empêche de tirer des conclusions à valeur générale. Gardons à l’esprit qu’il s’agit du rapport d’étape d’une recherche collective qui se poursuit. Sur le fond, l’ouvrage, s’il permet à quelques voix paysannes de percer le silence général des sources, ne chamboule pas les thèses admises jusqu’à présent : les chercheurs conservent majoritairement, en la nuançant, l’idée générale d’une émancipation progressive de la contrainte seigneuriale avec le passage de l’âge du féodalisme à l’âge du capitalisme au cours des XIIIe et XIVe s.

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