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Neil Davie
Neil Davie, Les Visages de la criminalité : à la recherche d’une théorie scientifique du criminel-type en Angleterre (1860-1914)
Paris, Kimé, 2004

lundi 20 septembre 2004, par Philippe Chassaigne

Philippe Chassaigne, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Tours.

Neil Davie, maître de conférences en civilisation britannique à l’Université Paris 7-Denis Diderot, livre ici un travail dans le prolongement de ses travaux antérieurs sur les questions d’ordre et de désordre dans la société (sa thèse de sociologie, soutenue à Oxford en 1987, portait sur « Coutumes et conflits dans un village de la Weald : Puckley, 1550-1700 »). Le titre en est tout à fait explicite : il s’attache à étudier la façon dont, entre 1860 et 1914, en Angleterre (l’Ecosse n’apparaissant ici que de façon secondaire), s’est articulé le débat sur les causes du comportement criminel. Il s’intéresse plus particulièrement à la réception outre-Manche des théories lombrosiennes de l’« homme criminel », et soutient que, contrairement à ce qui souvent dit et à ce que soutenaient les premiers intéressés eux-mêmes, les Anglais n’ont pas été aussi totalement réfractaires à la criminologie positiviste largement en faveur sur le continent au cours du dernier quart du XIXe siècle.

La période étudiée correspond, en gros, à un demi-siècle au cours duquel la réflexion sur le fait criminel a connu de profonds développements : c’est en 1857 que le système de recensement des crimes et délits a connu une réforme radicale, lui donnant le visage qu’il devait conserver pour la plus grande partie du XXe siècle ; c’est aussi à partir de 1861, et le vote du fondamental Offences against the Person Act, qui rééchelonne les peines encourues par les auteurs de crimes de violence, que se succèdent toute une série de textes législatifs visant à mieux cibler l’action de la justice (lois contre les récidivistes, élévation progressive de la majorité sexuelle, dispositions spécifiques en faveur des femmes et des enfants qui les soustraient de facto au système judiciaire traditionnel...).

Dans un premier temps, Neil Davie passe en revue les fondements de la criminologie britannique telle qu’elle se met en place au XIXe siècle : au début de la période victorienne la criminalité est interprétée exclusivement comme le symptôme d’une déperdition du sens moral. Le pauvre, l’oisif et le criminel sont trois figures à peu près équivalentes, sous la plume des enquêteurs sociaux de l’époque, tel Henry Mayhew, auteur, en 1851, du monumental (4 volumes) London Labour and the London Poor, ou de romanciers tel Charles Dickens. Dans un contexte d’urbanisation massive qui accroît le nombre des pauvres, on vit dans la crainte du flot toujours montant de la criminalité, tel que les premières statistiques judiciaires semblent l’illustrer. Devant une telle menace, la solution ne peut passer que par une rééducation morale (et donc, dans le contexte de l’époque, religieuse) de ces populations éloignées des principes fondateurs du « vivre ensemble », qui pourraient ainsi réintégrer le corps social.

C’est à ce substrat, d’ailleurs déjà formulé tel quel sous la plume de Henry ou de John Fielding, ou de Patrick Colquhoun, au tournant du XVIIIe et du XIXe siècles, que vient, dans un deuxième temps, s’agréger le « bouillon de culture darwinien » : si Darwin s’est lui-même bien gardé d’appliquer sa théorie évolutionniste aux rapports humains, d’autres ont été moins timorés et, dès les années 1860, les « darwinistes sociaux » proposent une lecture de la criminalité comme traduisant une dégénérescence physique probablement issue d’une hérédité défectueuse. Les récidivistes (habitual criminals), qui perpétuent une véritable culture du crime, constituent le cœur du problème, la manifestation la plus concrète du caractère inné de la délinquance. A la différence des « criminologues » de la première génération, les tenants du paradigme socio-darwiniste accordent moins d’importance à une improbable « re-moralisation » des classes dangereuses qu’à la nécessité de protéger la société du danger qu’elles représentent, en les mettant à l’écart. C’est dans cette perspective que sont prises les lois plus répressives de 1869 et 1871 sur les criminels récidivistes, durcissant le traitement pénal et carcéral qui leur est réservé.

A peu près au même moment, Cesare Lombroso (1835-1909) publiait à Milan L’Uomo delinquente (1875), premier d’une série d’ouvrages sur les caractères physiques de la délinquance, dans lesquels il associait étroitement dispositions criminelles et tares anatomiques ou physiologiques (faible capacité crânienne, front fuyant, épaisseur des os crâniens, prognathisme, etc.). On sait l’engouement que cette école positiviste italienne de criminologie suscita sur tout le continent européen, sinon même la primauté incontestée dont elle jouit au cours des deux dernières décennies du siècle. Dans une époque toute pétrie du scientisme le plus primaire, elle offrait un moyen en apparence irréfutable pour identifier le « criminel-né », noyau central et irréductible de l’ensemble des « classes criminelles ». Les théories lombrosiennes semblaient cependant n’avoir eu qu’un écho très limité outre-Manche. C’est justement ce point que Neil Davie entend démonter de façon très précise, apportant ici les passages les plus neufs de son ouvrage. Il y a, d’un côté, les apparences ou, du moins, les déclarations officielles, telles que les rapportent, par exemple, Radzinowicz et Hood dans leur monumental ouvrage sur l’histoire de la politique pénale en Grande-Bretagne : elles font état d’un scepticisme, sinon d’une aversion, croissants pour les thèses de l’école italienne ; de plus, l’idée que le crime soit dû à des facteurs physiques de surcroît, ruinait le principe fondamental du droit anglais de la responsabilité pleine et entière de ses actes par chaque individu. Cependant, de l’autre côté, on voit bien que tous les criminologues britanniques ne sont pas aussi imperméables à ces thèses, tant que celles-ci ne sont pas élevées au rang de règle intangible. En d’autres termes, ils pratiquent un lombrosisme empirique et non systématique. Davie s’appuie sur un ensemble d’écrits de la période 1880-1900, signés notamment de nombreux médecins pénitentiaires : le poids de la profession médicale dans la criminologie britannique explique d’ailleurs cet attachement à la recherche de critères biologiques. Dans les réflexions des criminologues britanniques de la fin du XIXe siècle, facteurs endogènes et exogènes, l’hérédité et le milieu social, se conjuguent pour expliquer le comportement criminel. On prête en particulier beaucoup d’attention à la question de la responsabilité mentale, les interrogations se focalisant sur les liens entre délinquance et démence : on retrouve le poids de la profession médicale. Le criminel devient alors non plus amoral, ni dégénérescent physiquement, mais « faible d’esprit » (feeble minded), incapable de comprendre la différence entre comportement « normal » et comportement « déviant ».

En fait, les thèses de l’école italienne d’anthropologie criminelle faisaient trop écho aux réflexions qui avaient animé les socio-darwinistes dès les années 1860 pour être totalement dépourvues d’impact, d’autant que les deux dernières décennies du XIXe siècle sont marquées par un climat bien particulier. Dans un contexte de doutes quant aux performances du pays face à la percée de nouveaux compétiteurs (Allemagne et Etats-Unis) et à son éventuel déclassement, les grandes enquêtes sociales qui se multiplient, dans la lignée du monumental (11 volumes) Life and Labour of the Peole of London, de Charles Booth , attirent l’attention sur les populations déclassées des grandes agglomérations, le « déchet » (« residuum »), considérées comme totalement inassimilables et lourdes, à terme, du fait de leur démographie débridée, de dangers pour la qualité de la « race » anglaise. D’où l’essor des théories eugénistes, prônant la distinction scientifique des « aptes » et des « inaptes » et l’adoption d’une politique de sélection sexuelle en la faveur des premiers, voire de mesures contraignantes envers les « inaptes » (stérilisation forcée, par exemple). Dans tous les cas, il s’agit de redynamiser la population britannique en favorisant sa melior pars. Dans leur recherche des marqueurs de la dégénérescence physique et mentale, les eugénistes ne sont guère éloignés, quoi qu’ils en disent, des pratiques lombrosiennes, d’autant que le lien entre membres du residuum et criminels irrécupérables est bien sûr posé comme très étroit.

L’itinéraire, captivant par bien des aspects, que Neil Davie décrit ici est emblématique d’un XIXe siècle intrinsèquement scientiste, persuadé que la mesure et la quantification permettront de tout résoudre. D’où des excès, déjà décrits par Pierre Darmon entre autres, qui prêteraient incontestablement à sourire s’ils n’étaient annonciateurs de dérives ultérieures. Le propos de l’auteur va cependant au-delà. On comprend sans peine les implications contemporaines de ces questions : elles permettent de replacer dans une perspective plus large les débats actuels sur les causes du comportement criminel dans des sociétés de plus en plus sensibilisées aux questions d’insécurité. Les controverses entre partisans de l’inné et de l’acquis n’ont pas cessé avec le XIXe siècle : si les seconds l’ont d’abord largement emporté au cours du siècle suivant, les premiers, portés par la vague néo-conservatrice caractéristique des années 1980-1990, se sont livrés à une contre-offensive qui n’a pas été sans engranger de résultats (on pense aux thèses du sociologue Charles Murray sur l’underclass ).

L’auteur se situe dans un courant historiographique déjà largement fourni, au nombre desquels on trouve, du côté anglo-saxon, Victor Bailey, Douglas Hay, Peter Linebaugh et Edward P. Thompson, et, du côté français, Michelle Perrot ou Michel Foucault : son attention au souci taxinomique des criminologues du XIXe siècle se situe d’ailleurs dans la droite ligne des travaux de ce dernier . Les réflexions des criminologues anglais présentées ici auraient contribué à l’invention, de façon artificielle, d’une classe criminelle assimilée au fameux residuum dont les valeurs et les comportements - violence, conduite licencieuse, impécuniosité, criminalité - étaient justement ce à quoi la majorité respectable de la population avait renoncé. Dans tous les cas, on est surtout attentif à ce qui permet d’interpréter le système juridique de l’époque en termes de domination de la bourgeoisie sur les classes populaires, afin de conjurer une peur sociale suscitée par l’urbanisation et la visibilité accrue des pauvres - n’oublions pas que la pauvreté n’est pas une invention de l’ère industrielle, mais qu’elle existait auparavant même si les miséreux étaient disséminés en milieu rural.

Cette interprétation, systémique à l’excès, est sensiblement datée (les années 1970 et la dénonciation de toute « victimisation » dont l’Etat bourgeois aurait été à l’origine) et a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses corrections . En outre, l’ouvrage de Neil Davie repose sur une méthodologie même qui est critiquable, piochant dans un ensemble certes vaste de publications de l’époque, mais sans définir au départ un corpus soigneusement délimité et sans se préoccuper de leur caractère représentatif, ou de leur audience effective. De plus, cet ouvrage d’histoire des idées, qui apporte beaucoup en mettant en évidence la complexité bien plus grande qu’on ne le croyait jusqu’alors des réflexions britanniques sur les causes du crime, traite celles-ci de façon déconnectée des réalités judiciaires concrètes ; on le voit d’ailleurs à la liste des archives consultées, qui comprend foule de rapports parlementaires et très peu de sources judiciaires stricto sensu. Sans doute a-t-on beaucoup cherché le « criminel-type » en Grande-Bretagne entre 1860 et 1914 ; mais dans quelle mesure ces réflexions ont-elles été suivies dans le prétoire, ont-elles influencé magistrats et jurés ? Là se situe une question totalement occultée.

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