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Nicolas Veysman
Mise en scène de l’opinion publique dans la littérature des Lumières
Paris, Honoré Champion, 2004, 801 p.

mercredi 15 décembre 2004, par Stéphane Haffemayer

Stéphane Haffemayer, maître de conférences en histoire moderne à l’Université de Caen, associé à l’UMR 5037 du CNRS. Auteur de « L’information dans la France du XVIIe siècle. La Gazette de Renaudot de 1647 à 1663 », Champion, 2002.

« L’opinion publique n’existe pas » affirmait Pierre Bourdieu en 1973, contestant à la fois l’illusion instrumentale que le sondage prétend saisir et l’instance de légitimation qu’elle constitue dans l’action politique. Si, elle existe, dès le Moyen Âge, affirme Bernard Guenée, qui, se fondant sur les deux milles pages écrites par Michel Pintoin, chantre de l’abbaye royale de Saint-Denis, en fit son principal objet d’enquête pendant le règne de Charles VI, de 1380 à 1420 (Perrin, 2002). Cette position fut confirmée encore très récemment, le 7 décembre 2004, à l’Institut Universitaire de France, avec cette journée d’étude consacrée à « L’espace public au Moyen Âge », où il est clairement apparu que les médiévistes pouvaient difficilement se passer d’un concept jugé « opératoire » (Claude Gauvard).

Pourtant, à leur manière, les historiens des Lumières ont tranché ; se fondant sur Habermas, ils estiment majoritairement que l’opinion publique ne saurait exister avant la constitution d’une sphère publique bourgeoise, progressivement politisée au XVIIIe siècle, et l’institution de lieux de sociabilité nouveaux qui rendent possible l’exercice collectif du jugement critique. D’après l’américain Keith Mickaël Baker, l’opinion publique aurait même « surgi tout d’un coup comme figure de rhétorique », désignant une nouvelle source d’autorité : le tribunal devant lequel la monarchie absolue est sommée de comparaître. Invention politique, elle n’a donc plus qu’une réalité discursive, se voyant niée en tant qu’objet d’enquête historique et sociologique.

Même s’il en nuance et précise le propos, Nicolas Veysman se situe dans ce dernier prolongement. Baker appliquait aux polémiques politiques de la seconde moitié du XVIIe siècle les méthodes d’analyse linguistique inspirées par les travaux de Michel Foucault, l’idée étant que les idées et l’action humaine sont constituées linguistiquement et que la rupture politique fut aussi une rupture visible à travers le langage. Nicolas Veysman, agrégé de lettres, applique cela aux textes philosophiques en étudiant les procédés rhétoriques employés par les écrivains pour convaincre leurs interlocuteurs. Le travail est d’une densité tout à fait remarquable et il est impossible d’en restituer ici toute la richesse et les nombreuses citations. L’important est qu’il apporte sa pierre au débat en nuançant notablement la brutalité de la théorie de Baker. Car pour lui, le concept n’est pas statique au XVIIIe siècle, comme il le prouve dans une première partie consacrée aux formes de l’erreur publique. L’Ancien Régime ne connaissait pas « l’opinion publique », qui ne fait son apparition dans le Dictionnaire de l’Académie Française qu’en 1798 ; il ne connaissait que « l’opinion », source d’erreur, opinion fausse d’une multitude égarée, irrationnelle et impulsive. L’opinion publique n’est alors que l’erreur publique, l’opinion populaire méprisée par les philosophes, dont l’auteur montre la mise en scène littéraire, suivant une construction antithétique qui l’oppose à la raison éclairée de la minorité. Voltaire, Diderot, Rousseau, Marmontel, mais aussi des auteurs moins connus comme Frédéric de Castillon ou Lorinet sont là les héritiers de l’Ancien Régime dans leur stigmatisation de l’erreur populaire. Mais ils témoignent aussi d’une perception de plus en plus diluée du public, matérialisable dans le cas d’un parterre de théâtre, sociologiquement indéterminé dans celui d’un lectorat rendu insaisissable par l’augmentation exponentielle de la production éditoriale. L’historien saisira ici l’opportunité d’une possible genèse de l’opinion publique, dans sa réalité socio-politique.

La deuxième partie de l’ouvrage montre précisément la formidable promotion de l’opinion, dans ses rapports avec le pouvoir et la vérité : l’opinion publique naît de son alliance avec la philosophie. De Locke à Montesquieu, l’opinion s’érige en tribunal et la vérité devient sa règle, présente dans les discours de réception à l’Académie Française (Malesherbes). La métaphore illustre sa force : tantôt mer, torrent, tempête, sa mise en scène est de moins en moins philosophique, de plus en plus politique comme le montre Voltaire dans l’affaire Calas, obtenant sa réhabilitation en 1765.

On connaît la fortune historiographique de cette représentation fantasmée qu’avaient les philosophes d’un public acquis aux idées philosophiques : de Tocqueville à Mornet, en passant par Taine, l’opinion publique apparaît comme un phénomène négatif, responsable de la Révolution Française. Tous les manuels scolaires font précéder l’étude de la Révolution française de celle des philosophes que les révolutionnaires sacralisent en les faisant entrer au Panthéon. Mais pour Roger Chartier, au contraire, ni idées ni livres ne peuvent suffire à faire la Révolution.

En fait, l’étude de Nicolas Veysman vient confirmer l’instrumentalisation de l’opinion publique par les philosophes, emblématique d’une réelle mutation de la culture politique des hommes des Lumières ; mais elle montre surtout l’évolution dans l’espace de la littérature, de l’idée d’opinion au cours du siècle, évidence philosophique avant de devenir évidence politique. On ne contestera pas la place centrale que le concept prend dans la stratégie discursive des philosophes, révélatrice d’une conscience nouvelle d’une force qui se nourrit de la faiblesse du pouvoir.

Mais il n’en reste pas moins l’embarras de l’historien moderniste, pour ne rien dire de celui du médiéviste, qui observe dans la circulation de l’information, dans l’espace urbain comme dans celui des imprimés politiques, l’existence d’une réalité socio-politique indiquant que les philosophes ne font là que s’approprier une autorité insaisissable, dont la révélation précède l’utilisation rhétorique. Gageons que la fiction littéraire admirablement mise en évidence par Nicolas Veysman n’a de sens que dans la mesure où elle traduit confusément la vitalité du processus dynamique et créateur dans lequel se forme ce phénomène mobile et fuyant qu’est l’opinion publique, à saisir dans cette ambivalence entre deux univers, celui de la représentation et celui de la réalité socio-politique.

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