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"Monsieur Giles de Robien fait la jonction"

samedi 1er avril 2006 Nathalie Georges, psychanalyste, vice-présidente de l’association des psychologues freudiens. .
 

« Monsieur Gilles de Robien fait la jonction »Monsieur Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, publie dans la rubrique ’rebonds" de Libération en date du 28,février 2006 un article intitulé "Le cerveau, puits de science".

On y apprend que la "question de la transmission des connaissances" qui "agite les hommes depuis des millénaires" a enfin rencontré "la science, la vraie", après que "le bon sens populaire et l’expérience des professeurs" furent pendant quelques décennies "mis en doute par de curieuses “sciences” mêlées de forts a priori idéologiques".

Dieu ou le hasard a ou ont voulu que cet article paraisse dans le même numéro de "Libé" qu’un important dossier sur la critique du rapport de l’Inserm sur les troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent, dont plusieurs médecins soulignent la collusion avec une certaine orientation politique : « « Qui veut ficher les enfants ? », titre la Une.

Tandis que, sur le terrain, les praticiens de l’enfance qu’ils soient médecins, psychologues, éducateurs, enseignants, voient se réduire de façon drastique les aides et les moyens auxquels ils avaient recours pour traiter des « situations » d’urgence et/ou nécessitant la construction d’un cadre de vie et de soins coordonné avec tact et rigueur par plusieurs praticiens formés à des disciplines différentes, Monsieur de Robien leur explique gentiment dans ces colonnes où passe l’argent qu’il n’y a plus pour eux : « La France sera dotée en 2007 d’une plate-forme d’imagerie médicale de l’homme, unique au monde. Le projet Neurospin d’un coût de près de cent millions d’euros, en cours de construction part le CEA de Saclay offrira un grand équipement d’une finesse inégalée, ouvrant de nouvelles voies de recherche sur des affections comme l’épilepsie ou la schizophrénie... » « Pendant ce temps-là », comme on dit dans les bd, les épileptiques et les schizophrènes vivants vont devoir tenir le coup, à coup de questionnaires et autres protocoles de soins reconditionnants administrés par des néo-techniciens de la relation, après que leur nom aura été couché sur une longue liste de très longue attente. C’est la rançon du succès ?

"La France..." dit notre Ministre de l’éducation avec un soupçon de triomphe modeste... Mais quelle France ? N’entendez-vous pas combien de Françaises et de Français seront les dindons de cette farce lugubre ? Car enfin, que va produire Neurospin ? La machine imageante parlera-t-elle, pour désangoisser, aura-t-elle des oreilles pour entendre ces choses inaudibles que les uns et les autres ont à articuler et à déposer pour se retrouver dans les embrouilles qui ont, comme c’est la règle, présidé à leur venue au monde ? En quelle langue supercommunicationnelle s’exprimeront ses desservants ? La machine va-t-elle engendrer des mutants capables de résorber dans un néo-code d’imagerie tous leurs messages personnels ? N’est-ce pas plutôt qu’elle fera croître et embellir des symptômes toujours plus étranges et incurables les uns que les autres ? Et qui cela intéressera-t-il ?

Nous. Nous, les psychanalystes, freudiens de nombreux pays, qui misons beaucoup, en ce moment, pour voir : partout, dans le champ dans lequel nous allons opérer pendant les deux ou trois prochaines décennies une hostilité déclarée et active à l’endroit de notre pratique a levé. Les adorateurs de Neurospin et leurs acolytes sont riches de l’argent du contribuables et de celui de puissants lobbies, ils sont aussi déterminés. Ils font déjà construire en nombre des habitats surveillés et protégés pour ceux que leurs traitements ne guériront pas. Ils y emploieront des dits psys, n’en doutons pas. Pendant ce temps, donc, la psychanalyse freudienne et lacanienne se réinventera de fond en comble, comme elle n’a jamais cessé de le faire, parce que telle est sa nature et aussi pour survivre, dans ces temps de détresse programmée. Les « psys » freudiens continueront à s’intéresser à l’homme, mesure de l’homme, ombre d’une ombre et surtout, comme j’entends encore Jacques-Alain Miller le dire à son Cours, seule espèce vivante à devoir être protégée contre elle-même.