Un rassemblement d’homosexuels à Tétouan, en août 2006,
suscite la polémique. Aura-t-il lieu ? Le doute est permis.
Au Maroc, les homosexuels sont tolérés tant qu’ils sont discrets.

Les homos débarquent

Loubna Bernichi

 

 

Le tout Tétouan en parle. Durant le mois d’août 2006, la ville devrait accueillir les homosexuels, provenant de Marrakech, Agadir, Casablanca, Rabat et Tanger, pour tenir un congrès national et créer leur première association. Dès que l’information a circulé dans la presse locale, précisément Assura Assahifia, journal arabophone, la rue s’inquiète. Et les discussions vont bon train. Dans un forum de Tétouan, la Colombe blanche, les avis divergent. Ceux qui sont contre sont plus nombreux que ceux qui sont pour. L’affaire des homosexuels de Tétouan est toujours dans les esprits. En juin 2004, un rassemblement des homosexuels dans une salle de fête pour célébrer l’anniversaire d’un de leurs amis avait défrayé la chronique et suscité une vive polémique. Suite à la plainte d’un citoyen, les autorités ont fait une descente musclée pour arrêter les quarante-trois fêtards indésirables, trente-trois hommes et dix femmes, avant de les relâcher deux jours après l’intervention d’associations nationales et internationales. Dans une société aussi conservatrice et traditionnelle que celle de Tétouan, on veille au respect des mœurs. Pas seulement à Tétouan, mais dans toutes les villes marocaines. Il s’agit, quand même, d’un pays musulman. Et la religion interdit l’homosexualité. Même si l’anthropologue et auteur de plusieurs ouvrages sur la sexualité et à l’homosexualité Malek Chabel a un autre avis.
Dans un entretien accordé à Kelmaghreb, premier site des gays maghrébins, il déclare que dans le Coran, l’homosexualité est considérée comme un mal dont il faut se prémunir. Selon lui, l’interdiction n’est intervenue qu’au VIIIème et IXXème siècles, à Bagdad, où la culture homosexuelle était très nette. Si l’interdiction n’est pas explicite dans le Coran, l’article 489 du code pénal marocain est sans équivoque. «Est puni d’emprisonnement de trois à six ans et d’une amende de 200 à 1.000 dirhams quiconque commet un acte impudique ou contre-nature avec un individu de son sexe». Là encore, le Maroc peut être fier de sa souplesse et de son ouverture par rapport aux autres pays arabes et musulmans, même s’ il est targué d’être un pays homophobe. En Iran ou en Arabie saoudite, les homosexuels sont décapités ou lapidés jusqu’à la mort. Contrairement à la Tunisie, le Maroc ne censure pas les sites gay. Il est même une destination prisée par les homosexuels. Le grand écrivain Jean Genet, aussi connu pour sa plume acerbe que pour ses tendances homosexuelles masochistes, a séjourné à Tanger, dans les années soixante-dix, sans être perturbé. Le célèbre styliste Jean-Paul Gaulthier multiplie les voyages à Marrakech. Jacques-Henri Soumère, directeur général de l’opéra Mogador et du Massy, à Paris, homosexuel notoire, avait élu domicile dans une somptueuse villa à Marrakech avant d’être arrêté et jugé à un an de prison, non pas pour homosexualité mais pour pédophilie.
Autre fait exceptionnel, Abdellah Taïa, auteur de Mon Maroc, de Le Tarbouche Rouge et de L’Armée du Salut, revendique son homosexualité à travers ses écrits. Il est vrai qu’il vit actuellement en France, où il prépare une thèse de doctorat sur le peintre Fragonard, mais il anime souvent des rencontres et des débats dans des librairies et des centres culturels. Ses livres, où la sexualité est très présente, sont en vente libre. Lui-même avoue, dans une interview publiée dans le site Fluctuat, avoir vécu son homosexualité dans son pays natal. Pas dans le sens européen, mais il a vécu des “choses”.
D’ailleurs, même dans les pays occidentaux, les homosexuels vivent dans un ghetto. S’ils peuvent parler de leur vie intime, c’est uniquement dans un espace fermé. La preuve par l’ image. Le film Chouchou, où l’humoriste marocain Gad El Maleh tient le rôle principal, reflète bien cette réalité. Aux Etats-Unis, à part dans l’Etat de Massachusetts, la loi ne reconnaît pas le mariage entre individus du même sexe.
Au Maroc, tant que les homosexuels vivent dans la clandestinité et ne sortent pas au grand jour, ils ne seront pas inquiétés. Il faut éviter les signes ostentatoires. Pas de démarche ni de gestuelle efféminées et pas d’habits choquants. Et, surtout, ne l’avouer ni à la maison ni à l’école ni dans son lieu de travail pour éviter de devenir la risée de tous. La discrétion est le premier mot. Alors, s’ils se cachent, comment les homosexuels se rencontrent-ils? Ils ont leurs cafés, leurs boîtes de nuit et leurs hammams. Ces lieux, rien ne les distingue, mais la communauté homosexuelle s’y donne rendez-vous en se passant le mot. Mais, le premier lieu de rencontres reste l’Internet. Juste en tapant l’adresse de Kelmaghreb ou Têtu ou encore FilouMektoub, ils ont un large choix. Les annonces de rencontres ne manquent pas. Il y a même un forum de discussions où ils peuvent exprimer les difficultés qu’ils rencontrent à assumer leur sexualité, leurs frustrations et leur exclusion.
Le congrès national des homosexuels n’aura sûrement pas lieu à Tétouan en août prochain, les autorités concernées ne peuvent l’autoriser. Car, si c’était le cas, elles reconnaîtraient d’une manière formelle l’existence de l’homosexualité au Maroc. Et cela reste impossible et inimaginable.


Etre homo, est-ce une nature ?

L’homosexualité est-elle innée ou acquise? Les avis diffèrent. Certains affirment qu’elle est inscrite dans les gènes de la personne, que c'est dans sa nature. D'autres pensent que cela vient de l'histoire personnelle, de la relation que l'on a avec ses parents, qu'elle a des origines psychologiques. Longtemps considée comme une maladie par les psychologues et les médecins de la fin du XIXème siècle, c’est Magnus Hischfeld qui, dès 1931, tente de démontrer que l’homosexualité est constitutionnellement déterminée, innée et non modifiable. Si le débat est toujours d’actualité, elle n’est désormais plus considérée comme «une anomalie mentale». L’Organisation mondiale de la Santé l’a retirée en 1985 du manuel diagnostic et statistique des maladies mentales. Tout pays tentant par un biais ou par un autre d’instaurer un suivi médical pour homosexualité est condamnable sur le plan international selon la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. L’homosexualité se déclare à l’âge de l’adolescence où l’on construit son identité sexuelle. On peut être homosexuel pendant une période ou toute la vie. Certains le savent depuis toujours. D'autres le perçoivent confusément, même très jeunes, d'autres encore le découvrent plus tard. Cela se confirme au gré des rencontres et des expériences. Quand on découvre son homosexualité, on peut avoir un sentiment de culpabilité. On a l’impression de vivre quelque chose d’anormal qui marginalise. Du coup, on se tait et on s’enferme avec sa peur, voire sa honte.
BEL

 

Retour