PISTES PÉDAGOGIQUES - Films 2004/2005

 

Formation autour du film…
L'Enfant Sauvage de François Truffaut
par Alain Pinon


Le mercredi 19 janvier 2005, Alain Pinon, enseignant le cinéma audiovisuel au lycée Ronsard de Ven-dôme, est venu présenter ses pistes pédagogiques sur le film L'Enfant Sauvage de François Truffaut.

Pour nous situer L'Enfant Sauvage, Alain Pinon nous a présenté le cinéma de François Truffaut. Ce réalisateur a été l'initiateur du cinéma de la Nouvelle Vague, tout comme Jean-Luc Godard, Claude Chabrol…. Truffaut a réalisé beaucoup de films autobiographiques. Alain Pinon pense que c'est la notion de la politique des auteurs qui a fédéré la Nouvelle Vague, l'affirmation que le cinéma est une œuvre d'art donc, le réalisateur est un créateur. Ce sont des auteurs qui s'affirment en tant que tels.
André Bazin, grand critique de la nouvelle vague, affirmait que si les réalisateurs voulaient être fidèles au réel, il ne fallait pas faire de montage.

Il y a un point commun entre les trois films de Truffaut, Les 400 coups, L'Enfant Sauvage et L'Argent de Poche. Il est question dans ces trois films de l'intégration d'un enfant. Alors que dans Les 400 coups et L'enfant Sauvage, l'histoire ne traite de l'intégration que d'un enfant, L'Argent de Poche traite de l'intégration de tous les enfants.
Un autre point commun apparaît entre les films Les 400 coups, L'Enfant Sauvage et Fahrenheit 451. En effet, dans ces trois films, chaque enfant est privé de quelque chose. Dans Les 400 coups, Antoine Doinel manque de tendresse, ensuite, dans L'Enfant Sauvage, Victor manque de la connaissance et, enfin, dans Fahrenheit 451, l'enfant manque de culture.

Dans ce film, il y a la thématique de la différence tout comme dans Elephant Man et dans toutes les déclinaisons de Tarzan. A chaque fois, cela tourne à la défaveur de la civilisation et de la Société.

Dans la première séquence, Truffaut suit la règle de Bazin qui est de filmer en plan long. En effet, celle-ci dure deux minutes et il n'y a que quatre plans.
Malgré la critique d'André Bazin qui lui a souvent reproché de ne pas toujours avoir été fidèle à la nouvelle vague, Truffaut est tout de même resté attaché aux films d'auteur.

I - LE FILM :
¤ Genèse du film :

Le film est fondé sur le livre Les Enfants Sauvages de Lucien Malson constitué des deux rapports du Docteur Itard (1801 et 1806).

Tout d'abord, Truffaut s'est interrogé sur la façon de transcrire à l'écran le rapport du Docteur Itard. Puis, il a eu l'idée de le transformer en voix-off. Le problème de Truffaut était de faire comprendre le film au spectateur car il s'inspire d'un fait réel ; il est donc proche d'un documentaire et l'image ne se suffit pas à elle-même. D'une part, en mettant une voix-off, cela explique ce que le Docteur Itard enseigne à l'enfant et d'autre part, le Docteur Itard nous explique à travers la voix-off ce qu'il attend de l'enfant, comme par exemple la punition injustifiée. Cette voix est essentielle au fonctionnement et à la compréhension du film.

Le Docteur Pinel, qui s'occupait des " idiots ", a réellement existé et il est l'un des fondateurs de la psychiatrie en France.
Le film a bien adapté le rapport du Docteur Itard à l'écran, excepté une partie de la vie de Madame Guérin. En effet, la gouvernante était mariée et Victor mettait la table pour quatre personnes. Cependant, lorsque le mari de Madame Guérin est décédé, Victor a continué de mettre la table pour quatre jusqu'au moment où le Docteur Itard lui expliqua la situation.

Truffaut a essayé de ne pas trop se documenter afin de rester libre dans sa réalisation, hormis la séquence du diapason où il a eu recours à un oto-rhino-laryngologiste.

La question est de savoir si cet enfant est idiot parce qu'il a été abandonné ou s'il a été abandonné parce qu'il était idiot : opposition entre les deux médecins dans le film et dans l'histoire réelle.

¤ Les acteurs :

Pour ce genre de film, les réalisateurs préfèrent prendre des acteurs inconnus de peur de mettre les personnages au second plan. Au lieu de mettre en scène Victor derrière la caméra, Truffaut le met lui-même en scène tout en étant le Docteur Itard.

L'Enfant Sauvage est le film des premières fois. En effet, c'est la première fois que Truffaut joue dans l'un de ses films, que Jean-Pierre Cargol a un rôle, que Truffaut travaille avec le monteur, Nestor Almendros et que Claude Miller est, à la fois, acteur et producteur. De plus, la famille Miller joue la famille Leméry.

Truffaut considérait qu'un vrai film devait se faire en noir et blanc. Ce sont des techniques qui renvoient à l'origine du cinéma tout comme l'ouverture et la fermeture de l'iris. Truffaut a ensuite fait ses films en couleur afin de pouvoir les vendre à la télévision.

¤ Vocabulaire :

Un travail peut être fait sur le titre du film avec les élèves.
Infans veut dire celui que ne sait pas parler et sauvage (sylvia), celui qui vient de la forêt.

La maison représente la condition de la domestication.

¤ Parties du film :

1/ L'état animal : lorsque les gens tiennent Victor en laisse. Les enseignants peuvent demander aux élèves les éléments qui le font passer pour un animal.

2/ L'arrivée à Paris : il passe de l'état animal à l'anormalité. Cet enfant attire la curiosité des scientifiques et des autres enfants.

3/ Chez le Docteur Itard : c'est la période de l'éducation
A - Allure physique (propreté, hygiène…) : signe extérieur de la civilisation
B - La logique associative : mettre l'objet sur la forme correspondante
C - La socialisation avec les séquences dans la famille Leméry
D- Acquisition du langage avec la voyelle " O ". On lui donne un nom.

¤ Association entre les objets et les dessins :

Le Docteur Itard passe à l'association de clé/ciseau/marteau à l'association du peigne/livre/plume, ces deux derniers représentant la maîtrise du langage.

Le thème de la clé est important dans le film car elle ouvre ou ferme la porte de la connaissance : la clé en dessin, la clé du placard chez les Leméry qui ouvre la porte de la connaissance et celle chez le Docteur Itard qui la ferme. Dans une séquence, Victor déplace les clés qui ne sont pas à leur place.

Lors de la punition injustifiée, le Docteur Itard reconnaît que Victor a franchi une étape car il a désormais une conscience morale : il est prêt à décider librement.

¤ Thèmes du film :

Distinction et, non, opposition, entre la nature et la culture qui est un débat important au XVIIIème siècle. Alain Pinon insiste sur le fait que c'est une distinction et, non, une opposition car Truffaut n'a pas voulu donner son point de vue. En effet, à aucun moment, il a fait comprendre que Victor devait faire un choix entre la civilisation et la vie sauvage. Truffaut-Itard ne condamne pas la nature puisqu'il ne réprimande pas Victor lors de sa première fugue.
Les enseignants peuvent faire repérer aux élèves tout ce qui est naturel chez Victor. La culture commence au moment où Victor porte des vêtements, des chaussures, tout ce qui n'est pas naturel. La culture se fait à travers l'acquisition du langage. Cependant, le Docteur Itard a été le premier à avouer l'échec de Victor à parler.
La fin du film est ouverte.

La pédagogie : Itard était un innovateur dans la pédagogie.

Visuellement, Truffaut a trouvé des moyens de distinguer la nature de la culture.

Omniprésence des fenêtres :
Tout au long du film, il y a des fenêtres ouvertes. C'est un jeu entre les deux tentations, la nature et la culture.
Il n'y a qu'à l'institution des sourds-muets qu'une fenêtre est fermée au moment où les Docteurs Pinel et Itard parlent de Victor en le regardant se balancer sous la pluie à travers la fenêtre.

Oppositions :
Tout d'abord, l'opposition fondamentale avec les fenêtres qui séparent la nature de la culture, ensuite, l'opposition entre le patois des paysans et le discours des médecins et enfin, l'opposition entre le couple Leméry et le couple improbable du Docteur Itard et de Madame Guérin.

Escaliers :
Trois séquences stratégiques où on est en présence d'escaliers.

1/ Institution des sourds-muets : les Docteurs Pinel et Itard montent l'escalier et s'arrêtent au milieu pour parler du sort de Victor et le Docteur Itard décide de l'emmener chez lui.

2/ Quand Victor arrive chez Itard, il commence par monter l'escalier.

3/ A son retour de sa deuxième fugue, Victor monte l'escalier avec Madame Guérin.

Dans les deux dernières séquences, les personnages vont essayer d'élever Victor d'un état de nature à un état de culture.

¤ Musique (concerto pour mandolines de Vivaldi) :

Tout au long du film, nous écoutons la même musique avec des tonalités différentes. L'air de musi-que enjoué souligne un progrès de l'enfant alors que la même musique plus grave symbolise la deuxième fugue de Victor.

¤ Thématique de la flamme, de la lumière

Pour Truffaut, il y a une signification particulière lorsque Victor joue avec la flamme de la bougie. La flamme est à mettre en relation avec les fenêtres.

II - LES SÉQUENCES

¤ 1ère séquence : la séquence d'ouverture

1/ Le premier plan est sur la femme représentant la culture et la civilisation. Il y a un relais de la femme à l'enfant sauvage dans le même cadre.

2/ La suite de l'ouverture est centrée sur l'enfant sauvage.

La direction de l'enfant va de la droite vers la gauche et à la fin, lors de sa fugue, il ira de la gauche vers la droite.
Les thèmes de l'eau et de la montée dans les arbres seront présents dans d'autres moments du film.
La fermeture de l'iris permet d'isoler l'enfant de l'entourage. Le rythme est volontairement lent.

¤ 2ème séquence : le final

Lors de sa fugue, Victor est devenu inadapté à la vie sauvage.
Le montage de Truffaut est un montage linéaire. Le montage alterné est différent du montage parallèle qui fonctionne sur le mode " Comme si… ". Le montage alterné est rarement utilisé dans le cinéma classique mais il est présent dans le film lors de la fugue de Victor. En effet, nous voyons Victor qui dort et au plan suivant, le Docteur Itard qui réfléchit.

A partir du moment où Victor a un minimum de culture, il ne peut pas retrouver sa vie antérieure, c'est un retour impossible à la nature. A la fin, Victor réapparaît par la fenêtre entrouverte. La caméra ne sort pas de la maison. Les fenêtres sont souvent cadrées de l'intérieur, c'est un appel de l'extérieur.

¤ 3ème séquence : capture de Victor

Une branche est remplacée par une tige métallique. En effet, l'acteur qui joue Victor n'avait pas l'habitude de se pendre aux branches alors pour l'aider, les techniciens ont remplacé les branches par des tiges métalliques.
Aussi, Victor est censé avoir tué le chien noir mais nous voyons que le chien se relève. Au cinéma, il y a un principe de base qui est que tout ce que vous voyez à l'écran est voulu par le metteur en scène.
Cette séquence représente des plans plus rapprochés, plus brefs, plus dynamiques pour dramatiser.

¤ 4ème séquence : institution des sourds-muets

La séquence, où les Docteurs Pinel et Itard montent les marches, est tournée en plongée, panoramique et travelling arrière.

La séquence où Victor est dehors sous la pluie : elle se passe en champ/contrechamp et la pluie souligne la nature. Le montant de la fenêtre accentue l'opposition existante entre le Docteur Itard et le Docteur Pinel.

Il y a un raccord cut de l'institution à l'arrivée de Victor chez le Docteur Itard.