En
70 minutes de pellicule, le documentaire intitulé Vietnam
fait connaître au monde la volonté d’indépendance
d’un peuple colonisé pendant près d’un
siècle. La majeure partie du film est consacrée à
la description de la guerre de résistance menée par
le Vietminh et à la bataille décisive de
Dien Bien Phu. L’œil de Karmen s’arrête sur
les soldats et leur artillerie ainsi que sur les fermiers transportant
sur leurs épaules des denrées et des armes vers le
front en cyclo-pousse ou sur des radeaux de bambous. La caméra
de Karmen capture également le général commandant
Vo nguyen Giap, travaillant avec son équipe au poste de Muong
Phang. La séquence la plus marquante : un soldat plante victorieusement
le drapeau rouge étoilé au sommet du bunker du général
français De Castries entouré de dix mille prisonniers
français. Caméra vigilante au poing, Karmen focalise
son objectif sur les visages apeurés des troupes françaises
qui venaient juste d’échapper à la mort. En
octobre 1954, Karmen arrive à Hanoi. Les troupes françaises
préparent leur retrait de la ville et tournent la dernière
page d’une longue période d’asservissement colonial.
La dernière scène montre les visages victorieux, les
fleurs et les drapeaux du peuple libéré.
L'oeil
critique de Barberis et Chapuis
En
France, Patrick Barberis et Dominique Chapuis se montrent extrêmement
critiques face au metteur en scène soviétique. Ils
s’attèlent à dénoncer dans leur documentaire
Roman Karmen, un cinéaste au service de la révolution
la vision propagandiste de l’auteur du film Vietnam
et démontent ses images reconstituées. Une image est
toujours une affaire de point de vue et Roman Karmen n’hésite
pas à la façonner pour imposer sa marque à
l’événement, estiment Patrick Barberis et Dominique
Chapuis, également auteurs de l’ouvrage Roman Karmen,
la légende rouge. En communiste convaincu, les photographies
de Karmen dépeignent la guerre civile espagnole, la résistance
soviétique contre les nazis, les camps de la mort, le procès
de Nuremberg, l’émergence de Mao-Tsé-Tung, Ho-Chi-Minh,
Fidel Castro, Salvador Allende… Et l’on aura beau jeu
de remarquer son absence lors des purges de Staline, des invasions
soviétiques de la Hongrie et de la Tchéquoslovaquie
ou encore au moment des atrocités de la Révolution
Culturelle chinoise. Ainsi, Karmen est vu par Barberis comme un
correspondant de guerre partisan qui cadrait la réalité
subjectivement ou même, qui la reconstruisait parfois. Et
Barberis commente avec cynisme : « Il nous a légué
quelques-uns des plans les plus forts de l’Histoire du 20ème
siècle, si forts qu’il en a oublié qu’il
en était l’auteur. »
L'admiration
de Vietnam Pictorial
Le
journaliste Lê Son du magazine officiel vietnamien Vietnam
Pictorial affiche une vision toute autre : « Roman Karmen
a reflété la loyauté du peuple vietnamien à
travers des images vives et pleines de véracité. La
nation entière se lançait dans une guerre de résistance
pour défendre l’indépendance de la nation et
son unification. Il a réussi à présenter au
monde le Vietnam avec sa culture vieille de milliers d’années
et son peuple brave et héroïque qui refusait de vivre
en esclavage. »
Sa
complicité avec les grands hommes
Roman
Karmen peut se prévaloir d’avoir filmé les grands
hommes de l’Histoire dont il s’est fait le confident
: Staline et Mao, Nehru et Allende, Castro et Guevara mais aussi
Ho-Chi-Minh et Giap. Dans ses mémoires, le cinéaste
soviétique exprime toute son admiration pour son ami Ho-Chi-Minh
: « Il y a des rencontres qui restent gravées dans
l’esprit d’une vie entière et qui laissent une
empreinte indélébile dans l’âme et dans
le cœur. L’une d’entre elles était la rencontre
entre Ho-Chi-Minh et nous. Nous avons suivis un petit chemin puis
traversé une forêts de bambous, de palmiers et de bananiers
quand nous avons aperçu un toit de chaume. Sur la terrasse
de la hutte, un homme habillé en fermier s’est approché.
Si nous l’avions rencontré quelques jours plus tôt
sur un chemin ou dans un champ, nous l’aurions certainement
pris pour un simple agriculteur. » Le Président
Ho-Chi-Minh a accordé toute son attention au film de Karmen
et lui a fournit les meilleurs conditions de travail tout en assurant
la sécurité de l’équipe de tournage.
En
1954, le documentaire, devenu instrument de propagande, a largement
été montré aux populations du Nord-Vietnam
répandant, dans la foulée, l’espoir communiste.
En mai 2004, il a été diffusé sur les télés
vietnamiennes de tout le pays à l’occasion du 50ème
anniversaire de Dien Bien Phu. Quant au documentaire critique des
Français Patrick Barberis et Dominique Chapuis, il a inauguré
le Mois du film documentaire à Hanoi en 2002 rapporte l’Agence
Vietnamienne d’Information. |
La
légende rouge du cinéma
Né
en 1906 à Odessa d’une famille d’intellectuel
juifs, Roman Karmen entre au magazine Ogoniok à l’âge
de 20 ans. Il filme par la suite les événements
marquants de la Révolution Rouge : aux pays des Soviets
d’abord, puis en Espagne aux côtés des
républicains et ensuite en Chine lors de la guerre
de résistance contre l’invasion japonaise.
Peu après la rupture du pacte germano-soviétique,
Karmen prend du galon au sein de l’Armée Rouge.
Sa caméra immortalise la barbarie nazie, la défaite
allemande et le procès de Nuremberg. Il témoigne
aussi du siège de Leningrad, de la capitulation de
Von Paulus à Stalingrad et du drapeau rouge planté
sur le toît du Reichstag. Après le Vietnam,
une nouvelle révolution s’annonce et Karmen
se tourne vers Cuba pour réaliser sa dernière
œuvre. Il meurt en 1978. |
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