Les calcaires utilisés dans la construction en Champagne - Ardenne
(caractéristiques, positions d’utilisations et modes d’altérations)

par Gilles Fronteau

 

Pourquoi tant de pierres à bâtir calcaires différentes dans notre région ?

Les principales pierres à bâtir calcaires de la région Champagne-Ardenne 

Les pierres de taille calcaires utilisées à Reims 

Les altérations développées sur des pierre mises en œuvre

Bibliographie

 

Pourquoi tant de pierres à bâtir calcaires différentes dans notre région ?

Le sous-sol de la région Champagne-Ardenne possède une grande variété de roches calcaires, d’âges et de natures très diverses (Blanc in Pomerol., 1992). Leur répartition est principalement calquée sur la structure du Bassin de Paris (voir Fig. 1), dont les auréoles permettent de comprendre la très forte régionalisation des calcaires utilisés. Cette diversité est encore accentuée par la présence au Nord d’une partie du massif primaire ardennais, qui comprend principalement des roches datant du Dévonien et du Cambrien. Ainsi, en examinant la carte géologique de la région, on peut décrire sommairement l’organisation de ces roches en suivant deux transects géographiques :

- le premier dans une direction allant du centre du Bassin de Paris vers le Nord-Est (de Reims vers Charleville-Mézières) : on recoupe alors les terrains du Tertiaire (région de Reims), puis la craie crétacée et les terrains jurassiques (crêtes pré-ardennaises entre Rethel et Charleville-Mézières : du Porcien à la vallée de la Meuse). Enfin, dans la pointe de Givet, on rencontre les calcaires et les ardoises datant du primaire, roches largement utilisées dans la Wallonie voisine (DRGN, 1995)

- deuxièmement, selon un axe Sud-Est (d’Epernay vers Langres) : on retrouve les terrains du Tertiaire mais avec les calcaires datant du Dano-Montien de Vertus et du Mont-Aimé, et ceux du Crétacé (Craie de Champagne du secteur de Châlons-en-Champagne). Dans les environs de Bar-sur-Aube et de St-Dizier affleurent le Crétacé inférieur et le Jurassique supérieur. Et à la bordure Sud de la région, on rencontre de larges auréoles qui datent du Jurassique moyen (Bathonien à Chaumont, Bajocien à Langres), du Jurassique inférieur voire du Trias, avant de passer soit en Bourgogne, soit en Lorraine.

Cette grande diversité des pierres à bâtir est amplifiée par les variations latérales de faciès (Fronteau, 2000) qui conduisent à distinguer de nombreuses variétés locales. En effet, si certaines roches, comme la craie, sont relativement homogènes sur de grandes distances, d’autres peuvent varier rapidement et présenter des lithologies très différentes. Par exemple, à grande échelle, on comprend facilement que le calcaire extrait à Dom-le-Mesnil (08) soit très différent de la Pierre de Langres (52), même si ces deux roches datent du Bajocien Moyen. Mais en plus, il faut savoir que le faciès type de la Pierre de Dom ne se rencontre que sur deux communes et qu’au-delà (à partir de Bulson), le grain, la couleur et la nature sédimentologique du calcaire a déjà nettement varié. Un autre exemple, encore plus frappant : les pierres à bâtir extraites de la formation du Calcaire grossier (Lutétien Moyen) ont une nature et des caractéristiques différentes pour chaque commune, voire même pour chaque carrière (Anonyme, 1890). Par exemple, à Vandeuil, une pierre grise au grain fin était exploitée en carrière souterraine tandis que dans les environs d’Irval (à moins d’un kilomètre) une pierre rousse plus coquillière aurait été extraite des flancs du plateau (Dolfini, 1920).

Le dernier facteur de variété est plus anthropique que naturel, car les constructeurs n’ont pas hésité à faire venir des pierres de gisements éloignés plutôt que d’utiliser le matériel gisant immédiatement sous ou à côte de l’ouvrage. Par exemple, plutôt que d’utiliser de la craie dans des constructions en pierre massive de gros appareillage, certains bâtisseurs ont préféré faire venir des calcaires plus faciles à mettre en œuvre : à Reims, le choix se portait plutôt sur des pierres appartenant au Calcaire grossier, tandis qu’au Sud-Est la préférence allait à l’Oolithe vacuolaire (extraite près de Saint-Dizier). Nous pouvons notamment citer les différents monuments gallo-romains de Reims dont la pierre provient d’au moins 25 kilomètres vers l’Ouest ou de la Basilique Notre-Dame de l’Epine (15ème siècle), près de Châlons-en-Champagne, entièrement construite en Oolithe vacuolaire. Dans cette catégorie des pierres importées, il faut aussi différencier l’utilisation de pierres non extraites dans la région, qui ont été utilisées selon les modes, les besoins et les possibilités d’approvisionnements. Avec, pour meilleur exemple l’Entroquite de la Meuse (Pierre d’Euville ou de Lérouville) qui fut très utilisée dans toute la région à partir de 1850. Mais nous pouvons aussi remarquer que si cette diffusion des pierres de taille a provoqué la diversification des types de calcaires dans une même construction, elle a aussi permis à des styles architecturaux de s’imposer (Fig. 2), aboutissant finalement à l’homogénéisation à grande échelle (régionale voire nationale) des façades datant d’une même époque.

Depuis la seconde guerre mondiale, l’importation de pierres venant d’autres régions, ou d’autres pays s’est fortement amplifiée. Les carrières de pierre de taille de la région ont fermé les unes après les autres, compliquant la tâche des constructeurs ou des restaurateurs de bâtiment en pierre de taille (Blanc et al., 1985). Car désormais, la craie de Champagne est remplacée par de la Pierre de Charentenay (un calcaire fin du Bathonien de l’Yonne), la Pierre de Dom cède sa place à un calcaire venant des environs de Metz (la pierre de Jaumont), etc…

Enfin, signalons qu’actuellement la pierre de taille n’est plus utilisée que pour la restauration des monuments historiques ou en placage sur des constructions en béton. Le paysage architectural tend à nouveau à se diversifier, le verre et le métal côtoyant les calcaires de Bourgogne, de Charente ou des granites de toute provenance (le terme granite désignant toutes les roches ignées ou métamorphiques à usage ornemental).

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Les principales pierres à bâtir calcaires de la région Champagne-Ardenne :

Dans cet inventaire des principales pierres à bâtir calcaires utilisées et/ou extraites dans la région Champagne-Ardenne (du Nord vers le Sud) les pierres de taille globalement identiques ont été regroupées sous le nom de la formation géologique dont elles sont issues. Par exemple, la Pierre de Savonnières et celle de Brauvilliers proviennent en fait de la même unité stratigraphique, à savoir l’Oolithe vacuolaire.

Calcaires récifaux du Givétien :

Pierre noire ou Pierre bleue d’âge Givétien (Dévonien Moyen). Seul calcaire datant du primaire dont les gisements se trouvent dans les environs de Givet, à la frontière franco-belge. Le faciès bioclastique est très recristallisé (veines de calcites et porosité très faible), ce sui donne une pierre dure et compacte. Elle était utilisée pour la construction dans le nord du département des Ardennes mais elle était aussi commercialisée à grande échelle comme pierre de dallage et de bords de trottoirs (par exemple à Reims).

Calcaire de Romery :

Age : Sinémurien moyen, Gisements : à quelques kilomètres à l’Est de Charleville-Mézières.

Faciès très gréseux, passant parfois à des grès calcaires ou à des sables.

Utilisation limitée : remparts de Charleville-Mézières et Sedan, pavés de trottoirs de Reims.

Calcaire à débris : Pierre de Dom-le-Mesnil, Pierre de Saint-Martin…

Calcaire de couleur brun-rouille, très poreux, datant du Bajocien moyen. Les carrières sont localisées au sommet de la cuesta bajocienne au sud de la Meuse entre Charleville-Mézières et Sedan, les plus nombreuses se trouvent sur la commune de Dom-le-Mesnil. Ce calcaire biodétritique a été exploité intensivement et fut utilisé dans tout le nord des Ardennes (sauf dans la pointe de Givet, à partir de Revin) en particulier pour la construction de la « Place ducale » à Charleville-Mézières.

Calcaires sub-oolithiques blancs :

Age : Bathonien moyen, Gisements : quelques carrières à Chémery-sur-Bar ou Bulson

Utilisation limitée : habitations et églises des villages de la vallée de la Bar, ponts de Sedan ?.

Ces calcaires micritiques du Jurassique Moyen qui contiennent parfois des niveaux marneux, des lits de brachiopodes (Burmirhynchia decorata) ou des concrétions algaires. Seuls les bancs durs étaient exploités.

Calcaires coralliens («Argovien») :

Age : Oxfordien supérieur, Gisements : quelques carrières à Novion-Porcien, Vaux-Montreuil…

Utilisation limitée : habitations locales, Eglise de Neuvizy ?.

Les Calcaires micritiques du Jurassique supérieur ont été essentiellement exploités pour la chaux, l’amendement et le remblai, mais nous supposons qu’ils ont aussi été utilisés pour la construction locale.

Craie turonienne :

Les carrières de craie turonienne (Crétacé supérieur) sont nombreuses dans le Porcien et dans les environs de Rethel. Cependant l’utilisation pour la construction de cette craie blanche à silex est limitée, souvent délaissée au profit de la brique (comme dans les églises de Thiérache ardennaise).

Calcaire grossier :

comprenant pour la région rémoise : la Pierre de Courville, de Romain, de Magneux, de Vandeuil, d’Hermonville, de la Villette ; pour la région Soissonaise : la Pierre de Noyant-Septmonts, de Saint-Pierre-l’Aigle, et pour le Laonnais : la Pierre de Laon, de Vendresse, de Colligis, de Bièvres, de Montenault… mais il en existe bien d’autres…

Les pierres citées ici ne sont que quelques exemples de la richesse et de la diversité encore trop mal connue des pierres à bâtir de la formation du Calcaire grossier (Lutétien moyen). Ces calcaires micritiques à foraminifères (surtout des Milioles) sont aussi réputés pour contenir de remarquables gastéropodes (dont Campanilopa giganteum) et pour leur utilisation dans les cathédrales gothiques d’Ile de France. Les anciens sites d’exploitation sont très nombreux et il existe encore quelques carrières en activité, dont la carrière St-Julien à Courville dans la Marne. Leur utilisation est primordiale dans tout le centre du bassin de Paris à l’intérieur d’une zone comprenant Reims, Laon, Noyon, Creil, Mantes et bien sûr Paris.

Calcaire de Vertus :

Age : Dano-Montien, Gisements : quelques carrières à Vertus (site des Faloises, Mont Aimé)

Utilisation limitée : habitations et églises de Vertus, Bergères-les-Vertus et dans la façade occidentale de Notre-Dame-en-Vaux à Châlons-en-Champagne (Blanc, 1993 ; Blanc, 1994)

Ces calcaires sparitiques du Tertiaire, parfois très grossiers sont constitués ciments calcitiques palissadiques jointifs qui entouraient initialement des bioclastes ultérieurement dissous (aspect très poreux).

Craie sénonienne :

Les carrières de craie sénonienne furent nombreuses par le passé, mais le remembrement des riches terres agricoles de Champagne et l’abandon de l’utilisation de la craie comme matériel de construction font que ces sites sont aujourd’hui très rares. La carrière de la Veuve, à Chépy, fut la dernière à rester en activité et permet encore d’observer quelques blocs laissés à l’abandon (Gerdaux, 1981). La craie, calcaire nanogrenu essentiellement formé de coccolithes, possède des caractéristiques très particulières (porosité, capillarité…), elle fut exploitée dans toute la région de Châlons-en-Champagne à Vitry-le-François et cette zone compte encore de nombreux bâtiments en Craie de Champagne.

Calcaires à entroques de la Meuse ou « Entroquite de la Meuse » Pierre d’Euville, Pierre de Lérouville, Pierre de Sorcy, Variété du Moulin à vent…

Ces célèbres calcaires blancs à entroques (d’où le nom d’entroquites) proviennent de la région de Commercy (Meuse) et datent de l’Oxfordien moyen (Jurassique supérieur). Le bassin carrier est de très grande envergure : à Euville, lors de la grande époque d’exploitation des différentes carrières, plus de 1000 ouvriers y travaillaient. Ces pierres à bâtir ont été utilisées à l’échelle internationale (nombreux sites d’utilisation à Bruxelles) et elles se retrouvent dans toutes les grandes villes de Champagne-Ardenne (Reims, Charleville-Mézières…).

Oolithe vacuolaire : (Pierre majeure) Pierre de Savonnières, de Brauvilliers, de Chévillon, de Combles, d’Haironville, de Ville-sur-Saulx…

Ces calcaires oolithiques de la fin du jurassique (Tithonique) se rencontrent entre Joinville, St-Dizier et Bar-le-Duc, chevauchant la limite entre les départements de la Meuse et de la Haute-Marne. Les sites d’extractions sont très nombreux et répartis sur une dizaine de communes, il existe actuellement trois carrières exploitées pour la pierre de taille. Les diverses pierres à bâtir exploitées ont eu une distribution nationale et internationale avec notamment un fort commerce avec la Belgique. Les bâtiments construits en Oolithe vacuolaire sont donc très nombreux et répartis dans toutes les grandes villes de la région.

Oolithe du Barrois et calcaire sublithographique du Barrois :

Age : Portlandien, Gisements : quelques anciennes carrières dans le Barrois…

Utilisation limitée : habitations et constructions locales, en petits appareillage (débit en plaquettes).

Le terme Oolithe du Barrois regroupe les calcaires datant du Jurassique supérieur (Oxfordien, Kimméridgien et Tithonique) dont les affleurements se situent entre Saint-Dizier et Chaumont (à l’Est) et entre Chateauvillain et Bar-sur-Aube (à l’Ouest). L’utilisation de ces calcaires oolithiques à matrice micritique ou de ces calcaires micritiques sans éléments figurés, parfois gélifs, fut très locale et seuls certains bancs étaient mis en œuvre (Buvigner, 1854).

Calcaire «comblanchoïde» :

Age : Bathonien moyen, Gisements : quelques anciennes carrières aux environs de Chaumont…

Utilisation limitée : habitations et constructions locales, actuellement exploité pour le granulat.

Ces calcaires micritiques rosés à oncolithes et tapis algaires ont une nature proche de la Pierre de Comblanchien exploitée en Bourgogne. On peut remarquer qu’il s’agit du même niveau stratigraphique que celui des calcaires blancs exploités dans la vallée de la Bar dans les Ardennes (Pierre de Chémery) et que l’on y retrouve les mêmes niveaux à Burmirhynchia decorata.

Oolithe bathonienne :

Age : Bathonien inférieur, Gisements : quelques anciennes carrières près d’Arc-en-Barrois, Bugnières…

Utilisation limitée : habitations et constructions locales

Ces calcaires oolithiques ressemblent parfois à la Pierre de Ravières ou la Pierre de Massangis (dans l’Yonne), mais avec des bancs de puissance nettement plus faible. Leur utilisation fut locale et les carrières reconnues sont toutes situées dans la région d’Arc-en-Barrois.

Calcaires bajociens de Langres : (Pierre mineure) Pierre de Balesmes, Pierre de Rolampont.

Les carrières des sources de la Marne et du Nord-Est de Langres ont fourni des calcaires de couleur rousse. Ces calcaires bioclastiques à grandes entroques sont fréquemment dolomitisé, ils s’organisent en litages obliques de grande amplitude et présentent de grandes variations de microfaciès (ainsi que de taux de dolomitisation). Ces pierres de taille ont été utilisées dans toutes les communes entourant le plateau de Langres. Les carrières sont encore visibles et l’une d’elles a été de nouveau mise en exploitation afin de restaurer les remparts de Langres (Carrière de St-Ciergues).

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Les pierres de taille calcaires utilisées à Reims :

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Composition des constructions en pierre de taille à Reims :
répartition des différentes pierres à bâtir

Les pierres locales sont principalement issues de deux formations stratigraphiques : la Craie de champagne (Sénonien) et le Calcaire grossier (Lutétien Moyen).

Les constructions en craie sont aujourd’hui assez peu nombreuses et l’utilisation de ce calcaire fin se limite généralement à quelques murs ou murets. Pourtant, on trouve encore de la craie mise en œuvre dans quelques habitations éparses, dans le centre ou le sud-est de l’agglomération rémoise (centre ville, quartier St-Rémi ou du Barbâtre) ; ou encore dans quelques statues de la cathédrale de Reims (Blanc in Pomerol 1992). Les carrières de craie étaient pour la plupart souterraines, elles sont désormais oubliées, comblées ou transformées en caves, leur inventaire se poursuivant au fil des découvertes (Tourtebatte, 1994). A l’heure actuelle, la craie de Champagne n’est plus exploitée pour la construction.

La formation du Calcaire grossier, dont les affleurements les plus proches de Reims se trouvent à 10-15 kilomètres au Nord-Ouest (massif de St Thierry), n’a pas fourni une mais des pierres de tailles avec notamment la « Pierre à liards », le « Calcaire à Cérithes », le « Calcaire à Ditrupa ». Les caractéristiques pétrophysiques de ces calcaires étaient suffisamment différentes pour que l’on puisse les utiliser en fonction des besoins (statuaire, construction, dallage…) ou des exigences architecturales (position de soubassement, de bandeau, d’élévation…) et on rencontre encore de nombreuses constructions entièrement construites en calcaire du Lutétien (Fig. 2). A Reims, l’utilisation du Calcaire grossier est constatée depuis le gallo-romain (Porte de Mars, récents sites découverts Rue Belin ou dans le centre-ville), elle fut intensive du Moyen-âge (Cathédrale de Reims) jusqu’au début du siècle . La première guerre mondiale a mis fin à de nombreuses exploitations (Dolfini, 1920 ; Noël, 1970, Blondeau, 1970) et actuellement la carrière St-Julien à Courville est la seule exploitation de pierre de taille de la Marne (Tourtebatte, 1995 ; Fronteau 2000).

Il apparaît donc que la véritable pierre à bâtir « locale » de Reims est le calcaire grossier, la craie étant plus traditionnelle de la région se situant entre Châlons-en-Champagne, Vitry-le-François et Saint-Dizier.

 

A partir de 1850 et à la faveur de l’amélioration des moyens d’extraction et de transport, les calcaires utilisés dans une construction sont plus variés, ils proviennent fréquemment de Lorraine (Pierre d’Euville, Pierre de Savonnières) ou de la région parisienne (Pierre de St-Leu, Pierre de St-Vaast). Et lors des deux derniers siècles, la composition des façades s’inspira du Paris haussmannien et des bâtiments contemporains en composant avec les blocs de Meulière, largement utilisés pour les élévations de mur.

Ces calcaires, qu’il s’agisse de la pierre locale ou des pierres importées, ont des potentiels de résistance en œuvre différents, ils furent généralement utilisés dans des positions architecturales spécifiques (dont le non respect peut causer la dégradation rapide de la roche). L’analyse des différentes constructions de Reims, permet de dresser deux profils-types qui répertorient les principaux calcaires observables sur les façades de l’agglomération (Fig. 2). Ces deux profils représentent les deux extrêmes d’une infinité de combinaisons entre les différentes pierres. La façade de droite est plus caractéristique de l’utilisation du matériel local (Calcaire grossier) tandis que celle de gauche est généralement observée sur les constructions datant de la période entre 1870 et 1914 (style « Art nouveau ») ou datant de la reconstruction de Reims. Enfin, il faut signaler que la variété architecturale est encore augmentée par l’utilisation de briques ou de blocs de Meulière, généralement pour les remplissages de murs (élévation).

 

Dans le profil n’utilisant que le Calcaire grossier, on remarque principalement l’utilisation en élévation des calcaires fins à Milioles (typiques de la région de Courville / Fismes) tandis que les calcaires coquilliers plus résistants sont utilisés dans les dallages, les ressauts et les rebords. Ces pierres ont généralement une couleur allant crème à beige-marron. La pierre utilisée pour les soubassements peut être du Calcaire à Cérithes (au musée Saint-Rémy), ou du calcaire à Ditrupa (qui se présentent sous la forme de petits tubes blancs) ; on peut même rencontrer par endroits de la « Pierre à Liards », venant de la base du Calcaire grossier et contenant des Nummulites (par exemple dans quelques blocs de la cathédrale de Reims).

Dans le profil composant avec des roches de natures plus variées, l’Entroquite de la Meuse se rencontre presque exclusivement dans les deux rangées de blocs du soubassement, elle ne se retrouve que rarement en élévation et généralement pour des murs de clôture, limitant une cour intérieure (Banque de France, par exemple). L’Oolithe vacuolaire, par contre, est employée dans des positions architecturales plus variées de la corniche à l’élévation. Mais il faut souligner que ce calcaire (d’une couleur grise homogène facilement reconnaissable) compose la majorité des bandeaux, des encadrements de portes (avec parfois un médaillon sommital en Entroquite) et des rebords de fenêtre. Le Calcaire grossier peut être utilisé en moellons sciés ou en blocs irréguliers, à la façon de la Meulière, son utilisation en position de bandeau ou de rebord de fenêtre a été souvent désastreuse et les blocs sont profondément altérés. Enfin, signalons que les pavés traditionnels de Reims sont de deux types : avec d’une part, les calcaires gréseux du Sinémurien (couleur marron avec parfois des auréoles décolorées grises et des coquilles de lamellibranches) et d’autre part, les calcaires du Givétien qui peuvent aussi former les bordures de trottoirs (couleur noire avec des veines de calcite blanche).

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Les altérations développées sur des pierre mises en œuvre :

Les altérations en œuvre (« maladies de la pierre ») se classent généralement selon la morphologie macroscopique de la dégradations sans rapporter celle-ci à un processus particulier de développement. Cette classification peut donc parfaitement s’intégrer dans une démarche d’observation rapide et elle ne demande pas une fine analyse des causes au cas par cas. Elle peut donc s’utiliser directement sur le terrain et convient bien à une approche de type naturaliste.

Les grandes catégories d’altération peuvent se classer en 5 types :

1/ - encroûtements et patines : qui se forment et n’affectent que la surface des blocs ;

2/ - dissolutions : généralisées à toute la surface ou localisées dans des zones de ravinements ;

3/ - desquamations : avec un débit en fin mille-feuilles ou en épaisse plaques (appelées exfoliations) ;

4/ - désagrégation : perte d’éléments ou de petits groupes d’éléments (ordre centimétrique et inférieur)

5/ - fragmentation : perte d’une partie d’un bloc (débris d’ordre centimétrique et supérieur)

 

L’altération en œuvre est principalement liée à l’interaction de nombreux facteurs externes : conditions d’exposition et composition de l’atmosphère ambiante, microclimat et conditions climatiques, position dans la construction, caractéristiques architecturales… (Philippon et al., 1992). Les paramètres les plus importants étant ceux qui contrôlent les circulations d’eau à la surface des blocs et dans la roche : exposition à la pluie, remontées capillaires, ruissellements… Ainsi, l’exposition aux pluies battantes favorise les dissolutions de surface et le ravinement, tandis que le ruissellement de l’eau érode les zones externes de la roche et provoque la migration des sels (dont le gypse). Dans les zones abritées, les particules d’origine atmosphérique s’accumulent, les sels de calcium cristallisent en surface ou peuvent remplacer la calcite. Des croûtes noires formées de gypse et de cendres volantes ou des croûtes blanches (issue de la recristallisation de calcite) peuvent se développer. Aux endroits soumis aux cristallisations de sels de calcium (d’oxalates ou de gypse), les blocs sont fissurés ou desquamés. Ces dégradations sont dues aux pressions exercées par l’eau lors du gel ou lors de la cristallisation de minéraux, ou bien elles résultent des gonflements des sels lors de leur hydratation, elles sont donc plus importantes dans les zones où les cycles thermiques sont fréquents (angles des blocs). Enfin, il est fréquemment démontré que la pollution tend à amplifier ces dégradations, soit par l’apport d’éléments chimiques, l’acidification de l’eau ou le dépôt de particules qui catalysent ou provoquent les réactions telles les cendres volantes contenant du vanadium. Mais la pollution peut aussi provoquer l’augmentation des dégradations en modifiant les populations d’organismes à la surface des bâtiments. Pour plus de renseignements sur les mécanismes mis en jeu et les données bibliographiques se reporter à Philippon et al. (1992) ou à Fronteau (2000).

Néanmoins, les paramètres externes ne sont pas les seuls facteurs qui contrôlent la durabilité d’un calcaire en œuvre, en effet, ses caractéristiques internes et notamment sa porosité influencent largement sa résistance à l’altération. De plus, on se rend rapidement compte que différends calcaires développent préférentiellement une ou plusieurs altérations bien particulières, que l’on ne rencontre pas ou peu sur les autres pierres (notion d’altération préférentielle).

 

Ainsi, concernant les pierres utilisées à Reims :

- l’altération préférentielle de l’Oolithe vacuolaire est une désagrégation généralisée de la surface de la roche, avec une tendance à l’alvéolisation. Cette morphologie de dégradation est favorisée par la faible cohésion granulaire des éléments figurés (des oolithes) et par l’importante macroporosité intergranulaire ;

- l’altération préférentielle de la Pierre de Courville est une desquamation en feuillets prenant une morphologie de décollement pelliculaire (blocs en élévation) ou de desquamation en feuillets (aux angles et aux limites des blocs). Cette morphologie de dégradation est favorisée par la forte cohésion granulaire des éléments figurés (des bioclastes), liée à la présence d’une micrite matricielle plus ou moins recristallisée en microsparite. Alors que les Calcaires à cérithes sont souvent fragmentés et fissurés avec une tendance à la desquamation des angles des blocs. Cette altération préférentielle est conditionnée par la matrice micritique non recristallisée et par l’hétérogénéité des bancs avec la présence de zones micritiques plus gélives.

- l’altération préférentielle de l’Entroquite de la Meuse est une désagrégation progressive associée à une desquamation qui s’initialise aux angles saillants des blocs ou d’une exfoliation du centre des faces très exposées. Ces modes de dégradation sont liés au faible degré de cohésion entre les différents éléments figurés de la pierre (des entroques associés à un ciment calcitique). On peut aussi constater l’influence des bioturbations dont le remplissage est généralement plus altérable que le reste du calcaire.

- enfin, les calcaires durs utilisés pour les pavés et les rebord de trottoirs présentent de nombreuses fragmentations (notamment au niveau des stylolithes ou des veines de calcite de la Pierre Noire de Givet). Tandis que les pavés bruns en calcaire Sinémurien sont souvent affectés par une petite déflation de profondeur millimétrique, qui ne touche que les zones décolorées grises.

 

En conclusion, on constate que la région Champagne-Ardenne est très riche en pierres à bâtir et notamment que les calcaires utilisés à Reims ont des natures et des provenances variées. De plus, l’étude de l’altération des géomatériaux en œuvre met en évidence que la nature d’un calcaire influence le développement des altérations ainsi que la morphologie adoptée par ces dégradations. La détermination de la provenance des différentes pierres de taille utilisées dans une construction et leur caractérisation sédimentologique ou pétrophysique sont donc des éléments importants des études préliminaires à la restauration des monuments historiques ; et c’est pourquoi depuis les années 70 et l’amplification de la pollution urbaine, les géologues sont intimement mêlés à ce type de travaux.

 

Bibliographie :

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TOURTEBATTE P. 1995. La pierre de Courville. Livret Édité par Carrière et scieries de l'Ardre, 16 pages.