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Accueil > Salle de presse > Discours > novembre 2001 > 27 novembre 2001

Allocution du premier ministre, M. Bernard Landry, lors de la présentation d’une motion sans préavis à l’Assemblée nationale à l’occasion de la fête des Patriotes

Québec, le mardi 27 novembre 2001

Seul le texte prononcé fait foi.

Monsieur le Président,

Je sollicite le consentement des membres de cette assemblée afin que soit présentée la motion suivante:

« Que l’Assemblée nationale souligne l’importance de la lutte des Patriotes de 1837-1838 pour la reconnaissance de notre nation, pour sa liberté politique et pour l’établissement d’un gouvernement démocratique. »

Monsieur le Président, plus d’un siècle et demi s’est écoulé depuis la rébellion des Patriotes de 1837 et 1838. Et pourtant, ce chapitre de notre histoire nationale n’a rien perdu de son actualité. Il continue de hanter les mémoires et de ressurgir, avec toujours plus d’insistance, à chaque détour de notre parcours collectif.

À preuve, au cours des dernières années, deux de nos cinéastes, messieurs Pierre Falardeau et Michel Brault, ont choisi, chacun à leur façon, de porter à l’écran un moment particulier du destin de certains Patriotes. De plus, la romancière et biographe Micheline Lachance nous a offert une très émouvante incursion dans la vie de Julie Papineau, une femme animée de passions amoureuses et politiques étonnamment moderne qui a conquis plus de 100 000 lectrices et lecteurs.

Bien sûr, notre mémoire collective n’oubliera jamais le dénouement tragique et sanglant de cet épisode de notre histoire. Mais, pour mesurer précisément la signification profonde du combat qu’ont livré ces hommes et pour saisir le caractère fondamentalement modéré de leurs revendications, il faut remonter aux sources mêmes, c’est-à-dire à l’Acte constitutionnel de 1791 qui avait institué au Bas-Canada et au Haut-Canada des assemblées législatives dont les pouvoirs réels étaient, à toutes fins utiles, sans substance.

Ce que l’on oublie trop souvent, c’est que ce que l’on a appelé la rébellion des Patriotes avait été précédée de près d’un demi-siècle de luttes pacifiques, légales et politiques menées contre l’autoritarisme, l’intransigeance et la corruption du pouvoir colonial.

Quelle était la réalité de l’époque, Monsieur le Président? À côté d’une assemblée législative élue par le peuple, tout aussi légitime que cette Assemblée nationale où nous siégeons, se trouvait un Conseil législatif dont les membres étaient non pas élus mais nommés par le gouverneur en place. Ce Conseil, où les représentants anglophones disposaient de la majorité des voix, pouvait rejeter toute loi votée par l’assemblée législative, et ne se privait pas de le faire fréquemment. De la même façon, l’administration du Bas-Canada était confiée à un Conseil exécutif dont les membres étaient aussi nommés par le pouvoir colonial et ne rendaient aucun compte à l’assemblée législative de la façon dont les deniers publics étaient dépensés.

Voilà le portrait. Voilà les conditions réunies pour les pires abus. Et comme il est vrai qu’en tout temps et en tout lieu les mêmes causes produisent les mêmes effets, cette concentration du pouvoir entre quelques privilégiés entraînera au Haut-Canada, en cette même année 1837, une rébellion semblable à celle des Patriotes, animée par William Lyon MacKenzie, et qui sera elle aussi durement réprimée.

Essentiellement, les Patriotes réunis autour de Louis-Joseph Papineau réclamaient les grands éléments de ce qui forme une démocratie digne de ce nom: un corps législatif représentatif doté de pouvoirs réels, un gouvernement responsable, le contrôle par les élus des revenus de la taxation et des institutions politiques garantes du bien commun. En ce sens, même si son terrain d’action a été local et national, la lutte des Patriotes a mis de l’avant des idéaux universels.

En fait, à un moment où la notion même de mondialisation n’existait pas, elle a embrassé les luttes de toute une époque et emprunté à tous les grands courants d’idées qui, encore aujourd’hui, gouvernent largement nos institutions démocratiques. Les revendications des Patriotes se sont d’abord largement inspirées des grands principes de la Révolution américaine, et notamment du « no taxation without representation ». Elles ont emprunté également au rejet de l’arbitraire et à la liberté des peuples, symbolisés par la Révolution française.

De Montesquieu à Rousseau, elles ont aussi largement puisé aux grandes idées politiques et sociales du siècle des lumières, les notions de séparation des pouvoirs, de volonté générale et de bien commun. Et enfin, par son caractère national, la lutte des Patriotes s’est largement inscrite dans le grand mouvement d’émancipation des nationalités qui gagnait l’Europe et l’Amérique du Sud à la même époque.

En effet, entre 1804 et 1830, la Serbie, la Grèce, la Belgique, le Brésil, la Bolivie et l’Uruguay accédaient à l’indépendance. Et, comme l’ensemble des grands mouvements historiques dont elle s’est inspirée, la lutte des Patriotes était aussi fortement ancrée dans le sentiment populaire. Elle s’est faite l’écho d’un peuple qui voyait non seulement ses droits politiques bafoués, mais qui en plus était frappé par une crise économique particulièrement grave, par l’inflation et le chômage, par des épidémies de choléra et de mauvaises récoltes. Et si le mouvement patriote a eu des assises populaires, il faut également souligner qu’il n’a pas réuni que des Canadiens, comme on appelait à l’époque les Québécois francophones.

Le mouvement patriote a été, dans une large mesure, une coalition d’intérêts divers : une coalition d’agriculteurs, de marchands et de membres de professions libérales, mais aussi de citoyens d’origines anglaise, irlandaise et écossaise. En somme, Monsieur le Président, les Patriotes n’ont pas été les aventuriers qu’une certaine tradition folklorique tente, encore aujourd’hui, de décrire. Les Patriotes ont été, d’abord et avant tout, des gens animés d’idéaux de liberté et de démocratie.

Les Patriotes comptent parmi nos premiers véritables démocrates. Réunis autour de Louis-Joseph Papineau, de Jean-Olivier Chénier, des frères Robert et Wolfred Nelson et du chevalier de Lorimier, ils se sont battus avec courage pour des idéaux de droit, de justice et d’égalité pour leur peuple, y perdant leurs biens, leur liberté et, pour des dizaines d’entre eux, leur vie.

La veille de sa mort, alors qu’il venait d’embrasser pour la dernière fois son épouse, le chevalier de Lorimier écrivit cette lettre vibrante, véritable testament politique, dont voici quelques lignes:

« Je meurs sans remords, je ne désirais que le bien de mon pays dans l’insurrection et l’indépendance; mes vues et mes actions étaient sincères et n’ont été entachées d’aucun des crimes qui déshonorent l’humanité et qui ne sont que trop communs dans l’effervescence des passions déchaînées. [ ... ] Malgré tant d’infortunes, mon cœur entretient encore du courage et des espérances pour l’avenir : mes amis et mes enfants verront de meilleurs jours, ils seront libres, un pressentiment certain, ma conscience tranquille me l’assurent. [ ... ] je meurs en m’écriant: Vive la liberté! Vive l’indépendance! »

Monsieur le Président, les Patriotes ont mérité une place de choix dans l’histoire de notre nation québécoise. Ils font eux aussi partie de la courte liste des libérateurs de peuple. Les Québécoises et les Québécois sont fiers de demeurer fidèles à leur mémoire.

Je vous remercie, Monsieur le Président.

 
 Mise en ligne : novembre 2001