Les boutiques haut de gamme s'établissent en grand nombre sur ce qui était, il y a deux ans et demi, " la rue recouverte la plus longue au Canada "
La disparition du toit du Mail centre-ville a radicalement changé l'allure de la rue Saint-Joseph. Rien à voir avec l'ambiance déprimante qui a régné dans ce qui était, il y a à peine deux ans et demi, " la rue recouverte la plus longue au Canada ". N'empêche, tout n'est pas nécessairement rose sous la partie qui subsiste.
A la faveur de l'arrivée de plusieurs entreprises de pointe, de centres artistiques et d'agences gouvernementales, les boutiques haut de gamme commencent à pousser sur la rue Saint-Joseph mise à jour. En avril, c'était la boutique de meubles Villa ; il y a deux semaines, Baltazar, un magasin d'accessoires de cuisine, de décoration et de meubles. Un chic restaurant de sushis, Yuzu, a aussi ouvert ses portes, à deux pas de là. Et personne ne regrette son choix.
"Ça marche très fort. Le soir, c'est toujours plein", note Guillaume Giguère, serveur au resto japonais de la rue de l'Église.
"On vient d'ouvrir, sans aucune publicité, et ça va très bien. C'est un quartier à découvrir", explique Claudia Poulin, gérante chez Baltazar.
Véronique Boileau, copropriétaire du magasin de meubles indiens et asiatiques Villa, soutient que le choix de la rue Saint-Joseph, s'il en a surpris plusieurs au début, n'est nullement remis en question. "On nous a trouvés audacieux et un peu fous, mais il s'agissait de se lancer. Les affaires vont selon le plan prévu. C'est sûr que ce n'est pas facile, il faut travailler fort, mais nous sommes contents de notre choix."
"On a toujours cru au quartier, nous", poursuit Lucie Morrissette, directrice générale du magasin Laliberté, le légendaire commerce de la rue Saint-Joseph. Les affaires roulent bien : un chiffre d'affaires en hausse de 7 à 8 % par rapport à l'an dernier, glisse la patronne qui estime toutefois que tout n'est pas parfait pour autant. "La relance immobilière de la rue est faite, mais la relance commerciale est plus lente."
Mme Morrissette pense à tous ces rez-de-chaussée d'édifices dont les vitrines sont placardées. Chaque jour apporte sa rumeur sur la venue d'éventuels locataires. On parle d'un magasin de jouets pour l'ancien édifice du magasin Paquet, actuellement en rénovation. L'ouverture d'un autre resto haut de gamme est aussi dans l'air, ainsi que de la venue de quelques pubs, établissements essentiels à la création d'un véritable night-life sur Saint-Joseph. Autant de rumeurs qui n'ont pu être vérifiées, le principal promoteur de la relance immobilière dans Saint-Roch, M. Jean Campeau, n'ayant pas retourné nos appels.
Une vision d'ensemble
"Ça (la relance) ne paraît pas encore en dehors des heures d'affaires", déplore Johanne Devin, directrice de la Société de développement commercial Saint-Roch, elle-même citoyenne du quartier. "Il y a eu beaucoup d'attentes avec la démolition d'une partie du toit du Mail. On pensait que ça irait plus vite. On vit une sorte de période de flottement."
La femme d'affaires souhaite vivement que l'entreprise privée prenne le relais afin d'"animer" le secteur. "La Ville a fait part, ce n'est plus à elle à supporter l'activité commerciale dans ce secteur."
Pierre Duchesne, propriétaire de la boutique Photo Presto depuis 25 ans, a vécu les deux époques de la rue Saint-Joseph, avec toit et sans toit. Il ne reviendrait pas en arrière. Il sent que la clientèle se fait de moins en moins tirer l'oreille pour venir faire un tour dans le coin. A preuve, la hausse de 50 % de son chiffre d'affaires depuis l'an dernier, attribuable à la revitalisation de la rue, croit-il, mais aussi à une campagne de publicité plus importante.
"L'enlèvement du toit a fait en sorte que les clients n'ont plus peur. Au contraire, ils en ont tellement entendu parler qu'ils ont le goût de venir. Depuis le Sommet des Amériques, les affaires vont en augmentant." Si l'homme d'affaires a une chose à déplorer, c'est le manque de vision d'ensemble dans le développement de la rue. Lui aussi trouve que les vitrines placardées sont encore trop nombreuses. "Les rénovations de façades, c'est bien beau, mais il faut aussi se préoccuper de ce qu'on veut mettre à l'intérieur"
Une vision d'ensemble, c'est aussi ce que souhaite Lucie Morrissette, qui pousse l'idée jusqu'à faire disparaître ce qui reste du toit du Mail centre-ville.
Un Mail fragile
Qu'en est-il maintenant de la rue Saint-Joseph, celle qui demeure à l'ombre, sous le toit ?
De plus en plus, ce spectre d'une autre époque semble s'imposer comme une frontière entre l'ancienne et la nouvelle rue Saint-Joseph. Le commerce dans le Mail centre-ville demeure fragile. " Dans le Mail, ça ne va pas bien. Sept ou huit commerces ont fermé depuis un an. Ce n'est pas un secteur où l'on sent un renouveau. Les commerçants sont déçus, ils s'attendaient à plus ", observe Johanne Devin.
"Je me plaindrai pas de mon chiffre d'affaires, mais c'est tough", confirme le confiseur Stéphane Champagne.
La dizaine de locaux à louer laissent en tout cas une étrange impression. Le Pub Edward, installé dans le Mail depuis un bon moment, a fermé ses portes il y a deux semaines. Et la venue possible d'une friperie et d'une soupe populaire dans l'ancien restaurant Le Palais d'Orient n'a rien pour améliorer les choses.
Sans toit ou avec toit ?
Le salut passe-t-il par la disparition du toit du Mail ? Personne ne s'entend là-dessus.
"Il y a les deux opinions : ceux qui veulent sa disparition et ceux qui veulent le garder, en disant que ça permet le magasinage à l'abri des intempéries ", explique Johanne Devin. Je crois que le développement du commerce dans le Mail passe davantage par l'essor de la rue Saint-Joseph, pas nécessairement par la disparition du toit."
"Qu'on l'enlève ou qu'on le laisse (le toit), ça ne change pas grand-chose ", ajoute Pierre Duchesne.
Quoi qu'il en soit, le toit est là pour encore un moment. La Ville de Québec n'a aucun plan pour l'enlever, du moins "à court terme", dit François Moisan, attaché politique du maire L'Allier, qui ne croit pas que sa présence a une incidence majeure sur la fréquentation. N'empêche, la Ville compte voir ce qu'elle peut faire pour donner un coup de pouce aux commerçants. " Nous comptons tenir une réunion avec eux afin de trouver une façon de donner (au Mail) un second souffle."