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FRANÇOIS BAYROU : « Face à Nicolas Sarkozy, le combat sera chaud »

SIEGE DE NOTRE JOURNAL (SAINT-OUEN), LUNDI. François Bayrou : « Je suis un croyant qui défend
la laïcité. » (LP.)
FACE AUX LECTEURS. François Bayrou en est certain : dimanche, les Français le qualifieront pour le second tour, où il rêve d’affronter Nicolas Sarkozy. Il sent se « fissurer le mur de Berlin » entre la droite et la gauche.

AFFRANCHI. Emancipé. Dépouillé des vieux habits d’un centrisme qui ne savait « regarder que vers la droite » et qu’il renvoie aux oubliettes. François Bayrou a débattu lundi pendant près d’une heure et demie avec huit lecteurs du « Parisien » et d’« Aujourd’hui en France ». Le candidat UDF (qui sera ce soir en meeting à Paris-Bercy) en est sûr : il sera au second tour, foi de Béarnais. Aussi vrai, dit-il, que le « mur de Berlin » des vieilles frontières politiques se fissure. Hier soir à Lille, devant 5 000 personnes, il a assuré que « les Français préparent, au premier tour, une de ces surprises dont ils ont le secret ». Bayrou rêve tout haut d’un duel avec Nicolas Sarkozy et du débat télévisé entre les deux tours, dont il affirme qu’il « sera chaud ». Car, nous a-t-il confié, il s’est depuis longtemps préparé à cet affrontement. Mieux encore, à ce choc des visions de la société française.

Entretien coordonné par Martine Chevalet et Béatrice Houchard Avec la collaboration d'Elisabeth Kastler-Le Scour
Photos : Frédéric Dugit


ERIC MERVEILLE. Michel Rocard a suggéré une alliance entre Ségolène Royal et vous. N’avez-vous pas le devoir de dire à vos électeurs ce que vous allez faire ?
François Bayrou. La France a besoin d’un président nouveau, et d’une majorité nouvelle. L’affrontement perpétuel droite contre gauche nous paralyse depuis vingt-cinq ans. Cet affrontement est désespérant pour le pays et l’a empêché de faire les réformes nécessaires. En m’entendant défendre ce projet de rassemblement, beaucoup de Français m’ont dit : « Ce que vous nous proposez est intéressant, mais vous ne trouverez personne pour le faire avec vous ». Or on voit aujourd’hui que des personnalités marquantes, de gauche et de droite, disent : « Oui, on peut travailler ensemble pour redresser le pays. » C’est ce qu’ont dit Rocard, Kouchner, Allègre. Bien sûr, le Parti socialiste a fermé la porte, immédiatement et brutalement. Mais la décision appartient aux Français. Si je suis élu président de la République, je ferai travailler ensemble des gens venant des deux camps. Je ne vois pas de différences majeures avec Dominique Strauss-Kahn d’un côté, ou Jean-Louis Borloo de l’autre. Voici la chose la plus importante qui soit en train de se passer : le mur de Berlin entre droite et gauche, cette cloison stupide qui séparait les Français, est en train de se fissurer.


Envisagez-vous une alliance avec le PS ?

HUBERT SOUILLARD. Avez-vous en tête le nom de votre Premier ministre ?
Je suis un homme qui vient du centre droit. Par équilibre, mon Premier ministre viendra plutôt du centre gauche.

Votre Premier Ministre idéal ?

« Vous vous rendez compte du degré de sectarisme ? »

Vous aviez dit : « Jacques Delors, en plus jeune. » Jacques Delors a une fille…
Oui, qui est une femme de caractère. Bien que je n’aie pas aimé la manière dont elle a fait les 35 heures. Rassurez-vous, je ne suis pas en train de préempter Martine Aubry… Mais, c’est vrai, j’ai beaucoup d’admiration pour Jacques Delors, pour la méthode Delors. C’est pour moi un homme de référence. Dans ce nouvel équilibre que je vais créer, tout le monde aura sa place. Il ne s’agira pas d’exclure les gens simplement parce qu’ils n’ont pas la même étiquette que moi. Je suis sensible au fait que des personnalités de gauche m’aient rejoint, par exemple, Jean Peyrelevade, l’homme qui a redressé le Crédit lyonnais. Ou des personnalités de droite, comme François Goulard, l’actuel ministre de la Recherche.

PAUL-VICTOR VETTES. Vous voulez être le président d’une Ve République, mais vous parlez d’une VIe République. Comptez-vous l’instaurer bientôt ?
Le numéro n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est le changement des institutions. Celles-ci doivent permettre un pouvoir plus ouvert qu’il ne l’est actuellement en France, où ceux qui sont au pouvoir ont tout, alors que ceux qui sont dans l’opposition n’ont rien. Il y a plus de vingt ans que je suis élu, et jamais je n’ai vu un président de la République réunir autour de la table les grandes forces démocratiques du pays en leur disant : « On a un problème, qu’est-ce qu’on fait ? » Vous vous rendez compte du degré de sectarisme ? Je veux donc des institutions qui permettent de représenter tous les Français. C’est la raison pour laquelle je veux supprimer le passage en force du gouvernement au Parlement, et instituer la proportionnelle pour 50 % des sièges. Il n’est pas normal, par exemple, que les Verts n’aient pas de groupe parlementaire, sauf à aller quémander des circonscriptions au PS.

ROSELYNE LACHAUT. Si vous êtes élu le 6 mai, allez-vous présenter des députés UDF dans toutes les circonscriptions ?
La nouvelle majorité ­ car j’aurai été élu par une majorité, et qu’il y aura un gouvernement pluraliste ­ présentera des candidats partout. Il y a deux hypothèses : ou bien il n’y a qu’un candidat par circonscription, et on fait une entente entre tous ceux qui ont décidé de participer à la nouvelle majorité ; ou bien on fait un accord de désistement entre plusieurs candidats. Je choisirai la meilleure hypothèse pour la France.

C’est quoi, cette nouvelle majorité ?
C’est une majorité composée de l’UDF, y compris si elle change de nom, puisque je veux créer un grand Parti démocrate, et qui tendra la main vers la droite et vers la gauche. Je n’ai pas d’ennemi dans le champ démocratique français. J’imagine bien que Nicolas Sarkozy n’ait pas envie de venir travailler avec moi et je vois bien qu’au Parti socialiste, il y a un certain nombre de gens qui n’en ont pas envie non plus. Mais entre les deux, il y a le champ immense d’une majorité de Français qui disent : « Il est temps qu’on s’y mette. » Quand je dis qu’il faut une nouvelle approche politique, je ne parle pas de manoeuvre politique, je dis que le pays a besoin qu’on s’occupe de lui. Soutenir l’entreprise, c’est nécessaire, et c’est plutôt une valeur de droite. Promouvoir la solidarité, c’est nécessaire, et c’est plutôt une valeur de gauche. Moi, j’ai besoin des deux.

HUBERT SOUILLARD. Et si vous n’obteniez pas la majorité aux législatives, que feriez-vous ?
Je ferais ce que de Gaulle a fait en 1958 : un accord de gouvernement avec des formations politiques qui accepteront de participer à ce nouvel élan. Mais les Français ne se déjugeront pas aux législatives, un mois après l’élection d’un nouveau président. Ils lui donneront une majorité et une majorité franche.

ABDELLATIF EN-NOUGAOUI. Vous êtes-vous affranchi de la logique des partis ?
Oui, je me suis affranchi des vieilles prisons dans lesquelles on était enfermé. J’ai considéré qu’il fallait rendre au centre son ouverture d’esprit. Car un centre qui ne regarde que vers la droite, ce n’est plus un centre, c’est la droite ! Je suis capable de tendre la main des deux côtés. C’est cela dont la France a besoin. Je me suis affranchi aussi du sentiment dominant qu’on ne peut rien changer. Oui, c’est une émancipation.

« Les Français ont pensé que ma démarche était authentique »

HUBERT SOUILLARD. Vous êtes passé, en quelques semaines, de
6 % à 20 % dans les sondages. Comment analysez-vous cette explosion ?

J’ai répondu à une attente qu’avaient les Français mais qu’ils ne savaient pas formuler. Quand vous touchez juste un peuple, des adhésions très fortes se forment. Les Français ont pensé que ma démarche était authentique. Et ils ont eu raison. On me demande si je ne décevrai pas ? Je vais vous dire : j’ai six enfants, ils croient tous que ce que je dis en politique est vrai. Je ne reviendrai jamais devant eux en leur disant que j’ai décidé de revenir aux vieilles guerres d’appareil ou aux vieux partis. Je ne peux décevoir ni mes enfants ni les Français. Cela fait partie de ma certitude.

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  L'ARRIVÉE AU JOURNAL
 
CE QU'A PENSÉ FRANÇOIS BAYROU DE SON "FACE AUX LECTEURS"
 
SON SCÉNARIO DU SECOND TOUR
 
COMMENT L'AVEZ-VOUS TROUVÉ ?
HUBERT SOUILLARD,
66 ans
Retraité
Maisons-Laffitte (78)

« Je l’ai trouvé très simple. Ça nous change un peu des énarques droits dans leurs bottes… Je crois qu’il est assez humaniste. Il a évité de manier la langue de bois. Il présente l’incomparable avantage de proposer une troisième voie. Concernant l’idée d’une alliance, le parti avec lequel il aura le plus de facilité, c’est le Parti socialiste. Mais on voit qu’il ne veut pas répondre de manière très nette là-dessus. Sinon, il risque de se couper d’un certain nombre d’électeurs. »

ABDELLATIF EN-NOUGAOUI
43 ans
Professeur de lettres
Gagny (93)

« Je partage en grande partie son diagnostic. Ma seule réponse, c’est la mise en pratique : comment ? Dans quelles conditions ? Et avec qui ? Ce sont des questions qui restent en suspens. Il dit qu’il s’est affranchi des appareils politiques, des partis. Mais jusqu’à quel point peut-il échapper à cette logique ? Au second tour, le scénario le plus intéressant serait de le voir contre Sarkozy. Car, face à Ségolène Royal, il y a beaucoup de proximité, et le débat serait presque inutile. »

ERIC MERVEILLE,
42 ans
Cadre infirmier
Chantilly (60)

« Il a répondu de façon précise à nos questions, tel que je l’imaginais. J’ai apprécié son côté pédagogue et humaniste. Il est assez proche des gens, sympathique, accessible et disponible. On voit qu’il cherche à moraliser la vie économique et politique. C’est peut-être un peu idéaliste. Il a le mérite de l’exprimer et il a confiance en lui. Mais, est-ce qu’il a la capacité à incarner la fonction présidentielle, la stature d’un homme d’Etat ? L’avenir nous le dira. »

PAUL-VICTOR VETTES
21 ans
Etudiant et intermittent
Saint-Maur (94)

« Je l’ai trouvé assez convaincant. En tout cas sincère. Ce qui est quand même une qualité pour un homme politique. Il a fait des choix assez rationnels. Mais a-t-il les moyens, est-ce que ça va être possible ? C’est la grande question. Beaucoup de choses restent encore floues. Je ne suis pas encore 100 % convaincu. Je repars même avec beaucoup d’interrogations, ne sachant toujours pas pour qui je vais voter dimanche prochain. »

CELINE REGNAUD
24 ans
Etudiante
Louveciennes (78)

« Je l’ai trouvé très sympathique, très franc. Il a une bonne poignée de mains, il vous regarde dans les yeux. Son projet de société et de gouvernement est ambitieux, mais un peu idéaliste. Sur ce point, il ne m’a pas convaincue. C’est la campagne d’un homme. Ce sera peut-être rassembleur pour les électeurs, mais je suis moins sûre que ça marche dans le milieu politique. Si je résume : l’homme, oui. Le projet, oui. Mais de qui va-t-il s’entourer pour le réaliser ? »

MURIELLE PEPINTER
37 ans
A la recherche d’un emploi
Paris XVIIIe

« Je l’ai trouvé très sympathique. Il m’a même un peu intimidée. Il est très posé, très calme. J’ai apprécié qu’il nous pose, avant de commencer, des questions personnelles, sur notre famille, nos enfants. Il s’intéresse aux gens, ça a créé un climat de confiance. Mon opinion sur lui, c’est qu’il est vraiment au centre. Il voudrait s’allier avec la gauche. J’ai été plutôt convaincue par son propos. S’il est élu, j’espère qu’il fera ce qu’il nous a dit. »

ISABELLE DE PENANSTER
49 ans
Orthophoniste
Vincennes (94)

« J’ai aimé ce qu’il a dit à propos de l’Etat providence et que tout n’est pas toujours gratuit. J’ai apprécié son optimisme et son réalisme. Il sait aussi regarder ailleurs, au-delà de la France. Je peux supporter ses ouvertures à gauche car ce qu’il dit sur les clivages politiques est intelligent. Ce que j’ai le moins aimé, c’est son petit coup de séduction quand il a dit : Votez pour moi car je suis le plus sympathique. Il pouvait s’en dispenser. »

ROSELYNE LACHAUT
55 ans
Cadre de banque
Paris

« Ses réponses à propos de Nicolas Sarkozy m’ont beaucoup plu. J’ai aussi apprécié ses propos sur l’euro. Ils étaient très clairs et pas démagogiques. Je l’ai trouvé moins clair sur les alliances politiques qu’il nouerait s’il est élu et concernant l’éducation je ne suis pas aussi sûre que lui que les choses peuvent changer. Mais, à propos de la suppression de l’ENA, qui m’était apparue comme une proposition démagogique, j’ai changé d’avis. Ce qu’il dit à ce sujet a beaucoup de sens. »
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