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l'année 1980, nous fêtions le sixième
centenaire de la mort de sainte Catherine de Sienne: elle
est vraiment l'inspiratrice et le modèle de nos
congrégations missionnaires. Elle a admirablement
incarné la synthèse de la vie dominicaine.
Ardente
contemplative, elle fut invitée par le Seigneur
à sortir de sa cellule pour soigner avec tendresse
les plus déshérités parmi les pauvres
de Sienne, avant de consacrer toutes ses forces à
sauver l'Église en grand péril. Comme l'écrit
un de ses biographes : "Elle est la fleur la
plus épanouie de l'arbre que saint Dominique a
planté".
L'histoire
de ces Congrégations est complexe et passionnante
et remonte bien au-delà de la renaissance de l'Ordre
en France après la Révolution. Comme le
fait remarquer le frère Raffin (Cahiers Saint-Dominique,
mars 1979), elles s'originent paradoxalement dans la branche
laïque de l'Ordre. Au cours du XIVe et surtout du
XVe siècle, on voit se constituer des communautés
féminines de tertiaires, allant de la simple cohabitation
à l'installation dans une maison régulière,
avec oratoire et même église publique. Sainte
Catherine, par exemple, appartient aux " mantellate
" de Sienne. L'évolution se fera dans le sens
d'une plus grande rigueur des conditions de leur vie religieuse.
A la fin du XVIe siècle, les monastères
du Tiers-Ordre régulier sont des monastères
cloîtrés, qui ne se distinguent plus de ceux
des moniales que par de légers détails d'observance.
Les papes Pie V et Grégoire XIII obligeront ces
soeurs à vivre en stricte clôture, comme
toutes les religieuses de "voeux solennels".
Le
XIXe siècle donne un nouvel essor à la vie
dominicaine féminine, après les ravages
de la Révolution. Dès avant la restauration
de l'Ordre en France par Lacordaire, des moniales chassées
de leurs monastères se regroupent. Elles ont vécu
en ces années très dures, de l'esprit de
saint Dominique, alors que les Prêcheurs avaient
dû quitter la France. Elles sont restées
fidèles à leurs engagements et ont réussi
à tenir. Les premières congrégations
naissent alors certaines prennent le relais d'anciens
monastères du Tiers-Ordre régulier, comme
le célèbre monastère de Langres;
d'autres se forment à partir de la perception de
nouveaux appels apostoliques; leurs fondatrices désirent
la vie religieuse et trouvent souvent chez les moniales
la solide formation à laquelle elles aspirent.
Le
regroupement des communautés en congrégations
se fait lentement. Il est difficilement compris par les
évêques il faut une nouvelle législation
pour y accéder et peu nombreuses sont celles qui,
au début, dépassent les limites d'un diocèse
et dépendent directement de Rome. Très vite
pourtant, elles vont rayonner hors de France et traverser
les mers, en direction du Moyen-Orient et des Antilles,
puis vers l'Amérique latine, l'Amérique
du nord, la Scandinavie, l'Afrique et jusqu'au Japon et
à La Réunion.
Si
l'expérience de Dominique fut celle d'un homme
d'Église découvrant la misère spirituelle
de l'hérésie, les congrégations nées
au XIXe siècle sont authentiquement dominicaines,
car elles naissent de vies centrées sur l'absolu
de Dieu rencontrant la misère humaine sous toutes
ses formes : détresses physiques et morales. Le
ferment évangélique est vraiment à
l'oeuvre en ces fondatrices, sensibles aux appels de la
souffrance et y répondant par tout l'éventail
des oeuvres de miséricorde : congrégations
enseignantes, hospitalières, soignantes à
domicile, accueillant des handicapés de toute sorte,
avec une préférence marquée pour
les plus pauvres: lépreux, prisonnières
libérées, enfants et jeunes en danger, milieux
ouvriers... Cette action apostolique, qu'il s'agisse d'éveil
et d'éducation de la foi ou d'activités
caritatives, s'enracine fortement dans la prière,
à la suite de Dominique, qui passait ses nuits
à prier et "avait une grâce spéciale
pour les pauvres, les pécheurs et les affligés".
On
s'étonne souvent du nombre des congrégations
dominicaines dont les activités semblent se recouvrir...
Chacune a, cependant, sa note particulière bien
définie et garde de ses humbles débuts un
attachement très vif à son premier appel.
A l'heure actuelle, pourtant, leur multiplication se trouve
compensée par un mouvement inverse qui tend à
une certaine unification. En 1956, par exemple, cinq congrégations
dominicaines enseignantes ont fusionné pour former
une nouvelle congrégation: fait très rare,
souligne le Délégué envoyé
à cette occasion par le Saint Siège "
car on ne réalise habituellement semblables opérations
que pour parer à des situations plus ou moins catastrophiques,
alors qu'il s'agit cette fois d'une fusion de congrégations
bien vivantes". D'autres se joignent à une
Congrégation plus importante.
Les
fédérations nationales et continentales
tissent des liens entre les congrégations et rendent
possible la mise en commun de ressources pour la formation
continue. Par exemple, depuis 1995 la majorité
des congrégations se sont associées à
un organisme de coordination au niveau mondial connu sous
le nom de Dominican Sisters International.
Les
soeurs des différentes congrégations sont
actuellement plus de 32.000 dans le monde et leurs frères
comprennent de mieux en mieux la place qu'elles occupent
dans l'Ordre. Les Chapitres généraux, depuis
30 ans, se sont beaucoup intéressés aux
soeurs, les stimulant dans leurs études et leur
vie apostolique, encourageant leurs rencontres et leur
collaboration. Le Chapitre de Manille a été
plus décisif encore :
"Notre
Ordre, disent les Actes, se trouve confronté à
deux grands mouvements de l'Eglise et du monde : promotion
du laïcat et libération de la femme. Or, saint
Dominique a d'abord fondé une communauté
de soeurs, avant celle des frères; peu de temps
après, des groupes de laïcs. Ce sont les débuts
de ce que nous appelons "Famille dominicaine".
Voici le temps favorable pour cette "famille",
de réaliser une véritable égalité
et la complémentarité parmi ses diverses
branches.De leur côté, les soeurs ont un
sentiment de plus en plus vif des liens spirituels qui
les unissent à l'Ordre, un désir de participer
toujours mieux à sa doctrine, à son esprit
et à son zèle apostolique. Autrefois, elles
demandaient beaucoup aux frères, actuellement,
il s'agit plutôt de travailler "ensemble".
(Source
: Sr. Jeanne-Catherine in Dominicains,Cerf. 1980)