e
dernier Chapitre Général d'Avila a de
nouveau insisté sur ce qui a été
souvent répété en diverses assemblées
et forums sur la vie dominicaine: la mission de l'Ordre
a été et doit continuer d'être une
mission "aux frontières". La mission
spécifique des Prêcheurs, c'est l'évangélisation
aux frontières.
I. La mission aux
frontières
Cette affirmation rend particulièrement présent
et actuel le charisme dominicain et le projet fondamental
de saint Dominique, depuis que le second Concile du
Vatican a présenté l'évangélisation
comme n'étant plus seulement une autre tâche
ajoutée à celles d'une Église établie,
mais comme étant l'essence et l'être même
de l'Église, qui se dresse au milieu des hommes
afin de les évangéliser.
Mais c'est une chose d'affirmer théoriquement
que notre mission doit être une mission aux frontières;
c'en est une autre et très différente
de nommer les frontières où, comme Dominicains,
nous avons à exercer notre mission et rendre
contemporain le projet fondamental de saint Dominique.
Pour nommer ces frontières, il faut regarder
les situations et voir à qui s'adresse en préférence
notre mission dominicaine.
Le Chapitre Général d'Avila a poussé
au-delà des documents antérieurs et a
nommé cinq frontières ou cinq situations
où se trouvent les hommes que l'Ordre doit privilégier
dans l'accomplissement de sa mission.
1. Les cinq frontières et les cinq défis
posés aux Dominicains aujourd'hui
Le Chapitre Général énumère
cinq frontières et établit entre elles
une hiérarchie. Le point de départ de
cette hiérarchie, ce sont les situations les
plus étrangères à l'impact de l'Évangile
et qui, par conséquent, réclament avec
plus d'urgence l'activité missionnaire de l'Église
et de l'Ordre.
Voici les cinq frontières et les cinq défis
mentionnés par le Chapitre Général.
1. La frontière entre la vie
et la mort, ou le défi de justice et de paix
dans le monde.
L'énoncé principal des Actes est celui-ci:
"sans un engagement pour la justice et la paix,
impossible de faire l'expérience et la pratique
du Règne de Dieu; il n'est pas possible d'avoir
une évangélisation authentique".
Cet engagement est le critère qui authentifie
la mission dominicaine. La compassion de saint Dominique
nous presse, dans notre situation contemporaine, à
déployer une présence active de la communauté
dominicaine à la frontière de la vie et
de la mort.
2. La frontière entre l'humain
et l'inhumain, ou le grand défi des marginalisés.
Sans la pratique de la communion et de la solidarité
avec les marginalisés, il ne nous est pas possible
de faire l'expérience et la pratique du Règne
de Dieu. Aucune évangélisation authentique
n'est possible. Parmi ceux qui souffrent de situations
inhumaines, il y a des peuples indigènes, victimes
de l'apartheid et du racisme, des immigrants, des ouvriers,
des dissidents... et en effet toutes les victimes de
l'inégalité imposée par les systèmes
sociaux, politiques et économiques d'aujourd'hui.
La compassion et l'itinérance mendiante conduisit
Dominique aux populations marginalisées du treizième
siècle: les pauvres, les hérétiques,
les païens. Ce souvenir nous donne à réfléchir.
3. La frontière de l'expérience
chrétienne, ou le grand défi des grandes
religions du monde.
Le dialogue avec les grandes religions du monde nous
fut demandé par le second Concile du Vatican
sous L'inspiration de quelquesuns de nos confrères
dominicains. Ce défi a-t-il été
saisi par l'Ordre comme défi spécifique
de sa mission aux frontières? Avons-nous remis
en question certaines de nos conceptions traditionnelles
en rapport avec notre activité missionnaire,
et certains de nos faux modèles, certaines fausses
attitudes concernant l'évangélisation?
L'idéal de saint Dominique fut d'aller en mission
au-delà des confins du christianisme établi,
d'aller chez les Cumans Tartares. Le dialogue avec les
autres religions est une priorité de la mission
dominicaine.
4. La frontière de l'expérience
religieuse ou le défi des idéologies séculières.
Les idéologies séculières mettent
en question plusieurs aspects différents du message
chrétien et de la vie chrétienne. Beaucoup
de questions soulevées par la pensée moderne
restent toujours sans réponse. Plusieurs d'entre
elles ont trait au sens de la vie humaine et le futur
de l'homme, le rôle historique de la religion
en général et du christianisme en particulier.
L'athéisme, l'incroyance, la sécularisation...
sont des problèmes alignés aux idéologies
séculières. Un facteur très important
dans la tradition dominicaine a été la
capacité de l'Ordre d'engager un dialogue entre
le message chrétien et les différentes
cultures, classiques ou nouvelles. Nous voyons des exemples
de ceci chez saint Dominique qui incorpora l'étude
dans son projet fondamental, chez saint Thomas et son
oeuvre monumentale, chez les théologiens du seizième
siècle, chez les théologiens dominicains
de Vatican II.
5. La frontière de l'Église
ou le défi que nous posent les chrétiens
noncatholiques et les sectes.
La multiplicité des confessions chrétiennes
est un scandale pour croyants et incroyants. Par ailleurs,
la richesse présente dans les différentes
traditions chrétiennes nous invitent tous les
deux au dialogue oecuménique et à la réconciliation.
La réflexion théologique dans l'Ordre
comporte un engagement important dans ce domaine. Mais
cet engagement embrasse la vie dominicaine dans sa totalité
puisque les avances dans le dialogue oecuménique
sont possibles seulement s'il y a une plus grande fidélité
de la part de tous ceux qui suivent jésus. La
frontière de l'Église touche aussi le
phénomène croissant des sectes. Ce phénomène
pose un défi à notre travail pastoral
et spécialement à l'évangélisation.
L'idéal premier de saint Dominique était
d'aller au-delà des confins de l'Europe et de
devenir missionnaire parmi les pai ens. Mais les demandes
du pape ne lui permirent pas de se rendre là,
de sorte que son travail missionnaire s'exerça
parmi les hérétiques. Encore là,
il dialogua avec eux constamment.
Sus-mentionnées sont les cinq frontières
de la mission dominicaine aujourd'hui et les cinq principaux
défi auxquels nous devons faire face si nous
voulons rester fidèles au projet spécifique
de saint Dominique et à notre tradition.
2. Les défis posés aux Dominicains
dans les Philippines aujourd'hui
Assurément, je ne vous dirai pas ce qu'il faut
faire dans votre pays à vous. Mon seul but est
d'expliquer un sujet soulevé par le Chapitre
Général. Les frontières et les
défis mentionnés par le Chapitre Général
me paraissent beaucoup trop généraux et
abstraits. Cela se comprend, étant donné
qu'un Chapitre Général cherche seulement
à offrir des lignes directrices générales
pour tout l'Ordre. C'est là le seul but de son
texte sur la mission de l'Ordre aujourd'hui, un texte
d'introduction. Le Chapitre était bien conscient
que l'Ordre s'étend au monde entier et est à
l'oeuvre dans des situations culturelles, sociales et
ecclésiales fort différentes; dans des
régions géographiques également
différentes.
C'est pourquoi le Chapitre Général dit
clairement que les provinces et vicariats doivent définir
de façon plus concrète ces frontières
et ces défis. Rappelons-nous ce texte: "étant
donné que l'Ordre existe en de nombreuses et
si différentes situations culturelles, sociales
et ecclésiales, et dans des milieux géographiques
différents, chaque entité de l'Ordre doit
envisager ces grands défis concrètement,
les bien saisir et leur apporter réponse".
3. Que est le sens réel de "frontières"
dans le texte du chapitre général ?
Cette question se rapporte directement au nouveau concept
de mission dans la théologie moderne. Pour bien
comprendre le vrai sens du mot "frontière"
dans ce contexte, nous devons considérer et adopter
ce nouveau concept de l'Église et mettre de côté
les vieux concepts parce qu'ils sont réductionnistes.
De plus, nous devons renoncer à un concept exclusif
de mission. Traditionnellement, la "mission"
dans l'Église était conçue comme
un travail pastoral en territoire pal en, où
l'Église n'était pas encore établie.
Mais le pluralisme culturel et religieux des sociétés
modernes rendent ce concept de mission dénué
de sens. Nous pouvons difficilement parler aujourd'hui
de "culture chrétienne" ou de "civilisation
chrétienne", comme jadis nous parlions d'une
Europe chrétienne. Tout au plus pouvons-nous
parler d'une majorité de baptisés dans
quelques sociétés, ou d'une grande influence
de la culture chrétienne dans des régions
données, comme les Philippines, l'Amérique
latine ou l'Europe. Le processus croissant de sécularisation
en certains endroits et le manque d'évangélisation
et la situation anti-chrétienne ailleurs font
que la mission de l'Ordre est urgente partout.
Toutefois, il y a lieu de retenir certains éléments
valides du concept géographique de mission. L'idéal
personnel de saint Dominique était d'être
missionnaire en pays proprement paf ens. Fidèles
à cet idéal originel, les Dominicains
doivent préférer comme champ d'action
missionnaire les pays qui sont au-delà des frontières
géographiques de la culture chrétienne
traditionnelle, les pays qui sont à la périphérie
des régions où l'Église est établie.
Il est aussi nécessaire de dépasser le
concept juridique de mission. Ce concept limiterait
l'action missionnaire principalement à l'apostolat
auprès des non-baptisés. Mais le pluralisme
culturel et religieux du monde moderne, le sécularisme,
l'indifférence, l'agnosticisme et l'incroyance
chez beaucoup de baptisés et la pauvreté
de l'évangélisation du catholicisme populaire,
rend vide de sens ce concept juridique de mission. Cet
état de choses crée un appel urgent à
l'activité missionnaire à l'intérieur
des limites juridiques de l'Église établie.
Nous touchons ici la raison même de la quaestio
disputata sur la priorité relative ou l'évangélisation
pastorale, ou de la pastorale de la " sacramentalisation
", et du rapport exact entre ces deux aspects du
travail pastoral.
Néanmoins, il faut tenir pour valables certains
aspects et certains éléments du concept
juridique de la mission. Saint Dominique et la première
génération de Dominicains firent leur
travail pastoral au sein de l'Église établie
à cause des besoins urgents de l'Europe chrétienne.
Mais ils n'oublièrent jamais la mission spécifique
de l'Ordre: le ministère de la prédication
et de l'évangélisation, le ministère
de la Parole. Et ils prêchèrent et évangélisèrent
surtout parmi ceux qui étaient à la périphérie
de l'Église établie: les hérétiques.
Le souvenir de nos origines nous enjoint d'organiser
notre propre activité missionnaire en territoire
juridiquement extérieur à l'Église.
Il faut résister à la tentation de s'encrouter
dans un travail pastoral qui ne fait que se perpétuer.
L'évangélisation doit être l'élément
spécifique de toute activité missionnaire.
Une nouvelle conception de la mission a été
soulevée dans la théologie moderne. Nous
devons réfléchir sur cette nouvelle conception
théologique de la mission et l'accepter. La théologie
moderne présente l'Église principalement
comme "la lumière des nations" (Lumen
Gentium ). Cette affirmation fondamentale de l'ecclésiologie
de Vatican II est le point de départ pour une
nouvelle conception théologique de la mission
dans l'Église. La frontière de la communauté
chrétienne commence là où la région
non encore évangélisée commence
même pour ceux qui sont baptisés. Le sécularisme
des sociétés traditionnellement chrétiennes
et dont la plupart des membres sont baptisés
aussi bien que les situations sociopolitiques qui sont
très éloignées des critères
évangéliques contredit la confession de
foi chrétienne en divers pays, en dépit
de la présence de chrétiens. Ceci nous
oblige à penser théologiquement la mission
de l'Ordre et de l'Église et pas seulement de
façon géographique ou juridique. Les frontières
du paganisme et de l'athéisme se trouvent au
coeur même de nos sociétés chrétiennes
et au coeur de l'Église elle-même, pour
autant que ces sociétés et l'Église
elle-même ne sont pas encore pleinement évangélisées
et converties à l'Évangile de Jésus
Christ.
Cette conception théologique de la mission constitue
le point de vue et l'horizon herméneutique sur
lesquels nous pouvons baser notre réflexion sur
la mission de l'Ordre aujourd'hui. Ainsi nous pourrons
découvrir les frontières et les défis
de la mission dominicaine aujourd'hui. Le vrai sens
de "frontière" dans le texte du Chapitre
Général est théologique bien que,
de certaines manières, elle se réfère
à une interprétation culturelle plus large.
4. Comment pouvons-nous découvrir les défis
spécifiques que nous pose la mission de l'Ordre
?
Les défis posés par la mission de l'Ordre
se sont constitués au-delà des limites
de l'institution dominicaine comme telle et même
au-delà de celles de l'Église, précisément
parce que notre mission est une mission aux frontières.
Ils proviennent des personnes et des groupes qui se
trouvent eux-mêmes au-delà des frontières
de la foi, et même au-delà des frontières
de la vie humaine et chrétienne.
Une considération narcissique de la communauté
dominicaine et chrétienne nous empêcherait
de découvrir les défis spécifiques
de la mission dominicaine dans le monde moderne. Nous
devons regarer au-delà de nos communautés,
au-delà de nos propres traditions et projets,
si nous voulons découvrir ces défis. Ça
ne veut pas du tout dire que nous devons ignorer notre
vie de communauté et notre tradition dominicaine.
Comme nous le verrons plus tard, notre charisme et notre
tradition sont le moyen de justifier notre mission et
ses priorités.
Pour découvrir les défis de notre mission,
il nous faut tenir les yeux grand ouverts et discerner
les "signes des temps". Depuis le temps du
pape jean XXIII, "les signes des temps" sont
devenus une sorte de "locus theologicus" (un
lieu théologique), parce que la révélation
et la volonté salvifique de Dieu, son plan de
salut pour les hommes et, en même temps, les signes
des temps révèlent la présence
ou l'absence du Règne de Dieu dans les diverses
situations historiques. Si nous voulons réellement
discerner les signes des temps, nous ne pouvons nous
permettre de répondre à des questions
que personne ne pose et de laisser sans réponse
les questions dramatiques des hommes d'aujourd'hui,
selon Walter Kasper, le grand théologien allemand,
c'est ici la crise réelle de l'évangélisation
et de la prédication aujourd'hui. Ici également
se trouve peut-être la raison principale de notre
"vide prophétique" (prophetic barrenness
), que nous avons dénoncé et déploré
tant de fois dans nos réunions dominicaines.
Les Dominicains aux Philippines, comme ceux en Amérique
latine et ailleurs, sont appelés à discerner
les signes des temps afin de rendre concrets les défis
de leur activité missionnaire et les priorités
de leur mission. Les défis de notre activité
missionnaire ne doivent pas être fabriqués
a priori , ils doivent être découverts.
Il faut les découvrir dans le contexte de la
réalité historique. Ignorer la réalité
historique nous mènera à ignorer les défis
spécifiques de notre mission. Ignorer ces défis
peut nous amener à faillir dans notre mission.
Cela peut nous faire aboutir à une situation
paradoxale où les Dominicains des Philippines
donneraient des réponses à des questions
d'Europe et oublieraient leurs questions locales, et
les Dominicains européens donneraient des réponses
à des questions des Philippins et oublieraient
leurs propres questions d'Europe.
Cela ne signifie pas du tout que les différentes
entités dans l'Ordre ne devraient pas avoir un
sens vigoureux de leur solidarité mutuelle. Très
souvent, des entités différentes dans
l'Ordre ont à faire face à des situations
sociales, politiques, culturelles et religieuses analogues.
Donc, ils rencontrent dans leur travail missionnaire
des défis analogues. Je suis certain que vous
avez ici des situations et des défis fort semblables
à ceux que nous avons en Amérique latine.
La solidarité au niveau de la famille dominicaine
est un premier pas vers une solidarité plus large
au niveau de l'Église et de la société.
Si l'analyse de la réalité est nécessaire
comme élément fondamental d'une réflexion
théologique incarnée, inculturée,
contextualisée, cette analyse est aussi requise
pour discerner les défis de notre mission partout.
Et je croirais que la réalité historique
de votre pays est à la fois complexe et dramatique.
De même les défis de votre mission.
5. Comment pouvons-nous justifier les défis
que nous découvrons ?
Ce serait une erreur de chercher de plus en plus de
défis simplement pour justifier notre survivance
comme Dominicains. Bien que cela puisse paraître
évident, nous ferions bien de rappeler une proposition
fondamentale en ecclésiologie: l'Église
n'est pas le Règne de Dieu. Cette assertion est
très importante pour définir la mission
de l'Église. L'Église n'a pas pour mission
de se servir elle-même, mais plutôt de servir
le Règne au sein des peuples. L'Église
n'est pas le salut. Elle est le sacrement du salut.
Sa mission est d'être une lumière au sein
des peuples, un levain dans la pâte. Cela est
plus vrai encore en ce qui concerne l'Ordre. La mission
de l'Ordre n'est pas de se servir lui-même, mais
plutôt de servir le Règne de Dieu au coeur
des peuples. En ce sens, l'Ordre est provisionnel, fonctionnel,
instrumental. La kénose est le moyen évangélique
de remplir sa mission. Les hommes n'existent pas pour
maintenir l'Ordre en vie; l'Ordre existe pour assurer
l'évangélisation des hommes.
Ces propositions ecclésiologiques devraient:
nous inspirer et nous procurer les principaux critères
pour établir nos priorités apostoliques,
pour élaborer les projets apostoliques des provinces,
des vicariats et des communautés, pour examiner
nos travaux du passé et créér de
nouvelles réalisations. Ces propositions ecclésiologiques
composent le contexte théologique pour une authentique
itinérance dominicaine. Notre
justification, ce sont ceux qui ont besoin de nous et
non notre besoin de survivre.
Nous ne devrions pas non plus chercher à justifier
notre mission en considérant seulement les structures
ecclésiales et pastorales de l'Église
établie dans un endroit donné. La vie
religieuse et dominicaine appartient à la tradition
prophétique ou charismatique de l'Église.
Nous ne devrions jamais oublier ce caractère
spécifique de la vie religieuse et dominicaine.
À cause de cela, nous avons à remplir
notre mission selon un mode prophétique et charismatique.
L'Ordre a le devoir de montrer une liberté évangélique
et une créativité prophétique dans
son activité missionnaire. Les tensions et conflits
permanents entre les éléments prophétiques
et hiérarchiques au cours de l'histoire de l'Église
sont bien connus de nous tous, aussi bien que les difficiles
mutuae relationes du temps présent.
Également bien connue est la tentation éprouvée
par presque tous les évêques, qui ressentent
l'urgence de remplir les charges pastorales et de répondre
aux besoins immédiats de leurs diocèses.
Ils sont souvent tentés de se servir de religieux
comme de simples agents du ministère pastoral
ordinaire. Parfois nos propres communautés se
tournent vers ces besoins immédiats de la pastorale
pour justifier certains de leurs travaux et projets
apostoliques. En ce faisant, les communautés
dominicaines courent le risque de perdre leur charisme
dominicain spécifique. Je pense que quand nous
chargeons des frères de remplir des vides dans
la structure diocésaine, nous ne rendons pas
un meilleur service à l'Église locale
ou à un diocèse, que si nous leur offrions
plus de ces services pastoraux qui caractérisent
notre charisme dominicain. En ce sens, notre charisme
devrait justifier notre mission spécifique dans
l'Église. Ainsi, nous ne pouvons découvrir
les défis présents à la mission
de l'Ordre sans nous rappeler notre charisme originel,
le projet original de l'Ordre.
Nous, les Dominicains, ne sommes pas trop enclins à
étudier et à proclamer notre charisme.
C'est peut-être pour cela (lue saint Dominique
reste inconnu et peu populaire parmi les fidèles.
Le problème commença avec la toute première
génération de Dominicains, au témoignage
du bienheureux Jourdain de Saxe, quand il essaya d'expliquer
la canonisation tardive de saint Dominique. Il nous
fait rejeter cette attitude sceptique et indifférente.
Seule une connaissance adéquate du projet fondamental
de saint Dominique en son temps peut nous amener à
définir correctement les frontières, les
défis et les priorités apostoliques de
notre mission en notre temps.
Parfois, au lieu de chercher cette connaissance, nous
étudions notre charisme et nos origines d'une
manière triomphaliste. Je dirais que ce triomphalisme
nous fait plus de mal que de bien. Le triomphalisme
est une première démarche qui nous cache
la réalité et nous dépouille de
la réalité historique. Le triomphalisme
avec lequel nous étudions et proclamons notre
charisme et nos origines, au lieu de nous lancer un
défi et nous conduire à un engagement,
nous emprisonne dans un carcan et nous rend parfois
même impétueux. C'est là l'éternel
problème des gloires anciennes, des glorieuses
traditions mal comprises. Cela a été la
source de beaucoup de paresses et de bien des attitudes
historiques irresponsables.
Les origines dominicaines parlent d'une mission aux
frontières. La mission de la première
génération de Dominicains se situa à
la frontière entre l'ancienne et la nouvelle
société (allant au-delà du féodalisme
pour rejoindre la société communale).
Elle se situa sur la frontière entre la vieille
Église établie et la nouvelle (composée
d'hérétiques et de païens convertis).
Elle se situa sur la frontière entre l'ancienne
et la nouvelle culture (la nouvelle étant davantage
urbaine, lai que, démocratique... ). Nous devons
rappeler ces origines de façon critique afin
de découvrir et de justifier notre mission aux
frontières aujourd'hui.
Pour découvrir et justifier les défis
d'aujourd'hui, il faut nous remémorer de façon
critique l'histoire et la tradition de l'Ordre. Je dis
"de façon critique" parce qu'ici aussi
la tentation de triomphalisme est présente. Notre
histoire et notre tradition sont riches en effet, et
comportent de nombreux exemples extraordinaires d'évangélisation
aux frontières. L'histoire de l'évangélisation
dans cette partie du monde est exemplaire. Souvenons-nous
de Domingo de Salazar comme un nom représentatif
parmi bien d'autres de missionnaires aux frontières.
Mais notre tradition comprend aussi un nombre d'échecs.
C'est pourquoi il nous faut la lire de façon
critique et éviter le triomphalisme.
Nous connaissons tous très bien les deux tendances
de la tradition dominicaine: l'une monastique et l'autre,
missionnaire. Le problème n'est pas que les deux
tendances ont toujours existé dans l'histoire
de l'Ordre. Le problème, c'est que très
rarement les deux purent vivre ensemble en harmonie.
Comme résultat de leur divorce, la vie de communauté
et l'activité missionnaire ont souvent manqué
de force et d'énergie dans bien des périodes
de notre histoire. Je vois que la meilleure façon
de renforcer la vie dominicaine ne consiste pas à
maintenir les deux traditions séparées:
portant notre attention sur l'observance régulière
en renonçant à l'activité missionnaire;
ou bien portant notre attention sur L'activité
missionnaire en renonçant à la vie de
communauté. Notre tâche est de réconcilier
les deux traditions, de manière à ce que
l'ancien mot d'ordre qui a inspiré les périodes
les meilleures et les plus fructueuses de l'histoire
de l'Ordre puissent se réaliser encore aujourd'hui:
Contemplari et contemplata aliss tradere .
Notre histoire dominicaine ne doit pas être évoquée
dans un esprit triomphaliste, mais plutôt pour
que nous soyons; renouvelés chaque jour dans
un esprit prophétique, nous appuyant sur les
bonnes leçons apprises par les réussites
et même par les échecs du passé.
L'homme est davantage attiré par le passé
et la tradition, que par le futur et la créativité.
Le passé offre la sécurité; le
futur n'offre que défis et responsabilités.
C'est pourquoi si souvent nous sommes tentés
de chercher refuge dans un souvenir triomphaliste du
passé et de la tradition, spécialement
aujourd'hui où nous vivons au milieu de changements
rapides et profonds. La Constitution Fondamentale de
l'Ordre contient un petit texte, mais important, sur
cette tentation. Le voici : "En des circonstances
changeantes, l'Ordre a besoin de courage pour se renouveler
et s'adapter à ces circonstances."
La fidélité aux hommes de notre temps,
la fidélité à la tradition la plus
authentique de l'Ordre, la fidélité à
notre charisme originel, voilà les grands actes
de foi auxquels nous devons tenir pour rendre concrets
les défis spécifiques que nous pose notre
mission aux frontières d'aujourd'hui. La fidélité
à notre charisme originel n'est que la façon
dominicaine d'être fidèle à l'Évangile
de Jésus Christ et aux exigences du Règne
de Dieu.
II. Urgence de l'évangélisation
dans notre monde et le ministère dominicain de
la prédication.
1. Priorité de l'évangélisation
dans notre monde.
1. Le quatrième centenaire de l'arrivée
de nos frères dans les Philippines, que nous
sommes en train de célébrer, est une bonne
occasion pour évaluer la mission dominicaine
dans ce pays. Il est évident que je ne ferai
pas cela. Mais permettez-moi de dire quelque chose qui
pourrait sembler élémentaire. Comme toute
oeuvre humaine, je suis sûr que l'activité
missionnaire des Dominicains d'hier et d'aujourd'hui
est remplie de succès et d'échecs. Le
succès de nos ancêtres est un défi
pour nous qui sommes appelés à continuer
leur oeuvre missionnaire. Quant à leurs déficiences,
elles ne peuvent jamais justifier nos erreurs.
Comme résultat de quatre siècles d'évangélisation,
les Philippines sont un pays massivement catholique.
L'évangélisation est notre manière
à nous aujourd'hui d'être fidèles
et loyaux à notre tradition.
2. Quelle est la situation de votre pays du point de
vue de l'évangélisation?
Il faut répondre à cette question avant
que nous puissions aller de l'avant dans l'étude
de notre mission aujourd'hui. Je ne suis pas la personne
capable de fournir une réponse adéquate
à cette question. Mais, permettez-moi de commencer
par quelques remarques à propos d'un sociogramme
qui normalement caractérise un pays largement
catholique aujourd'hui.
En ce qui concerne l'évangélisation,
trois secteurs sont à considérer:
1a. Le secteur de la religiosité populaire.
Ce secteur est plein d'erreurs objectives et de fidélités
subjectives. Le trait le plus significatif de la religiosité
populaire est que la plupart des gens sont baptisés
et à peine évangélisés.
Cette situation facilite un travail pastoral qui se
perpétue luimême. Les changements, la créativité,
le travail pastoral prophétique sont plus difficiles.
Ici, le manque d'évangélisation est un
problème majeur. Ceci a souvent permis à
la religiosité populaire d'être utilisée
et manipulée par différentes idéologies
ou même par différents mouvements théologiques
et pastoraux. La religiosité populaire pose un
défi au ministère et à la prédication
dominicains.
2a. Le secteur grandissant des intellectuels hautement
critiques.
Par rapport à l'évangélisation,
ce secteur est dans une situation qui ressemble beaucoup
à celui de la religiosité populaire. Peut-être
que les intellectuels sont moins sacramentalisés,
mais d'ordinaire ils ne sont pas plus évangélisés.
Disons qu'ils ne sont presque pas évangélisés.
Ici, cependant, une chose est à remarquer: la
plupart des intellectuels souffrent de la grande distance
qui sépare leur niveau de culture et leur formation
religieuse. C'est là la raison principale de
leur critique de la religion.
Ce secteur pose un défi majeur à la mission
de l'Ordre, si nous voulons rester fidèles à
notre propre tradition. Très souvent, l'Église
est arrivée trop tard pour évangéliser
les intellectuels, surtout dans les temps modernes.
l'Église n'est pas arrivée à temps
pour évangéliser la culture moderne en
Europe; en conséquence, une forte vague de sécularisme
a balayé le premier monde. Cette expérience
devrait susciter un défi pour les autres continents.
Nous ne devrions jamais oublier que les universités
et les groupes d'intellectuels sont les lieux dans la
société où l'Église et la
religion ont perdu de plus en plus de crédibilité.
3a. Les groupes minoritaires des ;nouvelles communautés
chrétiennes.
Bien que les nouvelles communautés chrétiennes
constituent une petite minorité dans l'Église,
elles ont une signification importante pour le nouveau
concept de l'Église et pour une évangélisation
nouvelle et plus intensive. Elles font de l'évangélisation
comme le premier pas vers la naissance et la construction
de l'Église. Ces nouvelles communautés
chrétiennes sont multiformes et passablement
hétérogènes. Il y a des communautés
chrétiennes de base, des communautés néocatéchuménales
au sein du renouveau charismatique... Mais tous ces
groupes reconnaissent la même priorité
pastorale: l'évangélisation. Il est nécessaire
de rendre la Parole de Dieu au peuple; une Parole qu'on
lui a retirée pendant des siècles à
cause de controverses confessionnelles et autres raisons
insuffisantes. Ces communautés essaient de recréer
l'Église, de découvrir de nouveaux modèles
de communautés chrétiennes, de nouvelles
façons d'évangéliser la société
moderne. La théologie parle alors d'une ecclésiogenèse.
De plus, les nouveaux modèles de l'Église
et de communautés chrétiennes que l'on
propose sont aussi multiformes que l'interprétation
de la Parole de Dieu que l'on trouve dans ces nouvelles
communautés. Ainsi, le discernement théologique
devient un défi et une priorité pour notre
mission et pour l'évangélisation à
faire parmi ces groupes minoritaires.
3. L'évangélisation est la première
priorité de la mission de l'Église. La
vie chrétienne est fondamentalement une mise
en pratique des valeurs de l'Évangile dans la
vie des hommes. Mais cette pratique n'est pas basée
sur une théologie morale purement ascétique
ou volontariste; elle résulte de la lumière
de l'Évangile, d'une profonde expérience
du Royaume de Dieu, de jésus comme Seigneur.
Il s'ensuit qu'une évangélisation qui
offre cette expérience est la première
priorité de la mission de l'Église.
Cette priorité est en profond accord avec l'Évangile
quand il pose le problème de la métanoïa
, de la conversion. Dans le Nouveau Testament, spécialement
dans les écrits de jean, le drame principal ou
le problème fondamental de l'homme face à
la Parole de Dieu, à la personne de Jésus
Christ, c'est un problème de lumière et
de ténèbre, de foi ou d'incroyance. Ce
n'est pas simplement un problème moral de bonté
ou de malice, encore moins un problème simplement
de bonne ou mauvaise volonté. Cette priorité
est en profond accord, également, avec la voix
officielle de l'Église. Le second Concile du
Vatican, les Synodes des évêques, la grande
Exhortation Evangelii Nuntiandi ont insisté sur
la priorité de l'évangélisation
dans le Nouveau Monde. L'évangélisation
n'apparaît plus seulement comme un devoir moral
ou une obligation canonique de la communauté
chrétienne. Elle constitue l'essence même,
l'être même de l'Église. L'Église
se tient au milieu des peuples pour les évangéliser.
L'évangélisation est sa vocation, sa mission.
L'urgence ou le besoin d'évangéliser est
un signe des temps dans notre monde. Cette urgence résonne
non seulement dans les documents de l'Église,
mais encore dans la clameur d'un monde qui revendique
comme un droit que l'Évangile soit annoncé
aux peuples.
2. L'évangélisation est le projet
fondamental de saint Dominique.
Nous, comme Dominicains, devrions être enchantés
de découvrir que les exigences présentes
d'évangélisation sont en parfait accord
avec l'idéal et le projet fondamental de saint
Dominique, avec la mission spéciale de l'Ordre
des Prêcheurs. Cela rend notre charisme contemporain.
Toutefois, il ne suffit pas de montrer avec joie l'actualitas
de notre charisme; il faut souligner que d'être
ainsi à la page implique un défi et une
responsabilité, et en accepter les conséquences.
Rappelons-nous nos origines et, ce faisant, rappelons-nous
quelques événements significatifs qui
ont entouré la fondation de l'Ordre.
1. A partir de Grégoire VII il y eut un effort
continu pour réformer l'Eglise. Deux buts inspirèrent
cette entreprise: restaurer la libertas ecclesiae dans
la lutte entre le trône et l'autel, entre l'empereur
et le pape; et rétablir la discipline cléricale
en débarassant l'Eglise de la simonie et du concubinage
des clercs. Ces tentatives de réformer l'Eglise
n'ont porté de fruits qu'en surface.
2. Saint Dominique indiqua la raison fondamentale de
la crise et la raison fondamentale de l'échec
populaire de la réforme grégorienne. La
raison de base fut les déficiences de la prédication,
ou. le manque pur et simple de prédication. Heureusement,
Innocent Ill, Honorius III et le 4e concile du Latran
confirmèrent que saint Dominique avait raison.
Un texte significatif de ce concile, touchant le ministère
de la prédication, mérite d'être
cité: "Fréquemment, dit le concile,
il se fait que les évêques eux-mêmes
n'arrivent pas à prêcher adéquatement
la Parole de Dieu, soit à cause de leurs occupations
variées, des attaques de leurs ennemis, de leur
mauvaise santé, ou d'autres circonstances diverses,
(et même le manque de connaissances, chose qui
à l'avenir sera rejetée absolument et
ne sera jamais plus tolérée)". Tel
était l'état de la prédication
à cette époque. Nous devons nous rappeler
que traditionnellement seuls les évêques
constituaient l' Ordo D o c to r u m et Praedicatorum
. Personne d'autre, normalement, n'était autorisé
à prêcher.
3. L'état de la prédication en ce temps-là
était le suivant :
- La plupart des évêques avaient abandonné
ce ministère pour les raisons indiquées
ci-dessus.
- Le bas clergé n'était pas préparé
pour aider les évêques de façon
appréciable dans ce ministère. Le prêtre
typique n'avait qu'une formation doctrinale déficiente
et ne jouissait à peine d'aucune autorité
morale.
- Quelques moines éminents (Robert, Norbert,
Bernard, Etienne...) furent convoqués par le
pape pour faire face à la crise de la prédication.
Ils firent un bon travail, assurément, mais ne
pouvaient constituer un Ordo Praedicatorum . Leur prédication
découlait de leurs charismes individuels et constituait
une prédication temporaire, au mieux.
- Mûs par les exemples de ces prêcheurs
et par leur lecture de l'Evangile, plusieurs groupes
de prédicateurs lai cs et itinérants apparurent
dans l'Eghse. La plupart d'entre eux étaient
des lai cs (Les Pauvres de Lyon, Les Humiliati, Les
frères de saint François). On leur permit
de prêcher seulement une morale élémentaire
et de donner des admonitions pénitentielles.
Ils n'avaient pas reçu de l'Eglise l'autorisation
de faire une prédication doctrinale, dogmatique.
- D'un autre côté, il y avait un grand
nombre de prédicateurs hérétiques.
Ces hommes étaient assidus ( tenaces) dans le
ministère de la prédication, dont le contenu
était très agressif à l'endroit
de l'Eglise institutionnelle et de sa hiérarchie.
Leur prédication était accompagnée
par une vie de pauvreté radicale, par une ascèse
extrémiste, et par un style de vie conforme aux
prescriptions littérales du chapitre 10 de l'Evangile
de Matthieu. Ils n'avaient sûrement pas reçu
un mandat de lEglise, et très rarement possédaient-ils
aucune sorte de formation doctrinale véritable.
Leur prédication était presque toujours
infectée d'un dualisme.
- Inquiet de cette situation, Innocent III fit appel
à bon nombre de Cisterciens de bonne renommée
pour obtenir de l'aide. Il en fit des légats
pontificaux. Sincèrement consacrés au
ministère de la prédication, ils vivaient
dans une sorte de luxe. La Parole était contredite
par leurs oeuvres. En l'année 1207 une assemblée
fut tenue à Montréal pour évaluer
l'état de la "Prédication de Jésus
Christ", la mission que le pape leur avait confiée
et les raisons de leur échec. L'évêque
Diego d'Osma et Dominique, son compagnon, furent invités
à l'assemblée, et ce fut Diego qui indiqua
la raison précise de la prédication infructueuse
des légats. " Mes frères, dit Diego,
ceci n'est pas la bonne manière. Il est impossible
que ceux qui se fient sur l'exemple reviennent à
la foi avec des paroles ...Avec un style de vie d'un
tel luxe, vous édifierez peu, vous détruirez
beaucoup et vous ne gagnerez rien. Enlevez un clou en
martelant un autre clou par-dessus". (Jourdain
13)
4. Parfaitement conscient de cet état des choses,
Dominique préfère l'idéal et le
ministère de la prédication à tout
autre idéal ou ministère dans l'Eglise.
Aucune activité réformatrice, disciplinaire
ou militaire ne peut résoudre la crise de l'Eglise.
La prédication entre dans le projet fondamental
de saint Dominique. C'est la manière spécifique
d'édifier l'Eglise. Prêcher la Parole de
Dieu, c'est la première et essentielle activité
missionnaire de l'Eglise. Fides ex auditu. Le processus
par lequel la communauté chrétienne vient
à la naissance est le suivant: la proclamation
du Kérygme, la foi en l'Evangile de jésus,
la conversion, et le baptême pour la rémission
des péchés. Ceci est également
la manière que l'Eglise est reconstruite et renouvelée.
Voici la raison pour laquelle le livre des Actes des
.Apôtres a toujours été la norme,
le canon pour le renouvellement, dans chaque situation
critique au cours de l'histoire de l'Eglise et de la
vie religieuse.
5. Au départ, saint Dominique adopte lin nouveau
style pour présenter la parole de Dieu avec la
puissance de l'Esprit, une prédication soutenue
par la vie évangélique du prêcheur.
Ceci pourrait bien être la raison même pour
laquelle Dominique et les premiers Dominicains refusèrent
l'épiscopat pour eux-mêmes: ils ne voulait
pas appuyer leur prédication sur l'autorité
hierarchique, mais uniquement sur la. Parole de Dieu
et le témoignage évangélique de
leur vie. Saint Dominique retient certains traits de
la façon de prêcher des hérétiques,
pour autant que ceux-ci répondent aux besoins
évangéliques. Mais il rejette les traits
qui éloignent la prédication chrétienne
du message chrétien, en particulier le dualisme
et le manque d'autorisation ecclésiastique.
6. La législation dominicaine primitive insiste
sur la place centrale de la prédication dans
le projet apostolique du nouvel Ordre. Le Prologue des
Constitutions définit le ministère de
la prédication comme étant la mission
spécifique de l'Ordre. Les visiteurs (canoniques)
doivent faire rapport au Chapitre Général
sur l'état du ministère de la prédication
dans les diverses communautés. Le Chapitre Général
est l'autorité responsable de choisir, promouvoir
et assigner les frères au ministère de
:la prédication. Ceux qui sont députés
à ce ministère ont l'obligation de vivre
selon la vie apostolique et la pauvreté évangélique.
Ils doivent être libres de tout autre ministère
et spécialement de responsabilités admisnistratives.
Tout élément du projet dominicain, même
celui de la dispense, est conçu en relation avec
le ministère de la prédication.
7. Certaines caractéristiques expliquent le
succès de la prédication dominicaine aux
débuts de l'Ordre. C'était une prédication
appuyée sur la mission de l'Eglise; soutenue
par une vraie vie apostolique et la pauvreté
évangélique - verbo et exemplo -. C'était
une prédication charismatique -gratia praedicationis
- sans rapport direct à l'autorité hierarchique
ou aucune forme de coercion. C'était une prédication
doctrinale, kérygmatique et positive, et non
de type apocalyptique, moralisante eu menaçante.
C'était une prédication prophétique,
capable de discerner les signes des temps nouveaux dans
la société et dans l'Eglise. C'était
prêcher aux frontières, prêcher pour
une nouvelle société (urbaine, bourgeoise,
universitaire...), prêcher au-delà des
frontières de l'Eglise établie, prêcher
parmi les hérétiques, les pal ens et les
peuples de cultures non-chrétiennes.
8. Plusieurs de ces intuitions prophétiques
de saint Dominique ont été partagés
par des milliers de Dominicains tout au long de l'histoire
de l'évangélisation en différentes
régions du monde. Un grand nombre de ceux qui
ont évangélisé les Philippines,
et, à partir de là, de vastes régions
de l'Asie, ont partagé ces intuitions prophétiques.
Leur mémoire est un défi pour nous aujourd'hui.
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