Le jeu dont vous êtes le bourreau

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Cette expérience a été menée douze fois de suite par Solomon Asch en 1956 – puis des centaines de fois. A chaque test, un tiers des participants se range à l'avis commun. Pourtant faux. C'est ce que Solomon Asch appelle l'intégration du "conformisme" : un individu sur trois se range à l'avis de la majorité, même quand elle a visiblement tort – il préfère respecter la norme que la vérité.

En 1961, Stanley Milgram met sur pied son expérience de torture en direct, celle qui a été reprise dans "La Zone Xtrème" de France 2. Des gens de tout milieu sont invités dans son "laboratoire", contre un petit défraiement, à faire "apprendre" à un "élève" une série de mots couplés. A chaque erreur, ils doivent le punir d'une décharge électrique de plus en plus forte. De 20 à 450 volts. A partir de 240 volts, on lit "Attention, choc intense" puis "Choc dangereux".

A 75 volts, l'homme testé proteste. A 150 volts, il crie "Monsieur le professeur, laissez-moi partir". Ensuite, il supplie qu'on arrête. A 330 volts, il se plaint de son cœur. A 360, il mime une perte de connaissance. A chaque hésitation du volontaire devant les cris de protestations, le psychologue en blouse blanche répète les quatre mêmes injonctions, celles qu'utilisera Tania Young sur le plateau du "Jeu de la mort": "Continuez, s'il vous plaît", "L'expérience exige que vous continuiez", "Il est indispensable que vous continuiez" alternant avec "Nous assumons toute la responsabilité", "Vous n'avez pas le choix, vous devez continuer".

Le film I comme Icare d'Henri Verneuil met en scène les expériences de Stanley Milgram (Antenne 2, 14 décembre 1979).

retrouver ce média sur www.ina.fr

LES INJONCTIONS DU "PROFESSEUR"

Les résultats de cette expérience ont fait le tour du monde. Stanley Milgram les a consignés dans son ouvrage canonique, Soumission à l'autorité (Calmann Lévy, 1974). Sur 40 personnes –des ouvriers, des femmes au foyer, des professeurs, des travailleurs sociaux– 62,5 % infligèrent les chocs maximaux. Ils ont torturé. En dépit de leur effroi face aux suppliques de leur victime, ils ont obéi aux injonctions d'un "professeur" qu'il ne connaissait pas.

Depuis, cette expérience a été répétée des dizaines de fois. Elle a toujours donné les mêmes résultats. Comment expliquer une telle obéissance aveugle ? Jean-Léon Beauvois est un psychologue social reconnu, l'auteur d'un des best-sellers de sa discipline, Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens (PUG, 2002). Il a dirigé l'équipe scientifique qui a surveillé la mise en place de "La zone Xtrème" de France 2.

UN "ÉTAT AGENTIQUE"

Il propose quelques explications sur notre propension à l'obéissance : " Les résultats de Milgram vont dans le sens de l'analyse d'Hannah Arendt. Un homme obéissant à un ordre abject n'est pas un monstre ou un sadique, ce peut être un employé, un col blanc, un fonctionnaire. Un homme banal, normal, habitué à se soumettre à celui qui incarne l'autorité, que ce soit le représentant d'une institution légitime, ou un scientifique. Selon Milgram, un homme obéit sans réfléchir lorsqu'il entre dans un “état agentique”. Il devient un agent d'exécution, un rouage. En cela, il abdique toute responsabilité sur ce qui pourrait advenir. Il perd son autonomie de pensée. Il devient obéissant aux pires directives, même s'il s'agit d'un brave type, incapable de faire du mal à une mouche."

Que se passe-t-il dans l'esprit d'un joueur, sur un plateau télé, pour qu'il en électrocute un autre devant tout le monde? Pourquoi obéit-il à la présentatrice… vingt-sept fois de suite ? Jusqu'à infliger un "Choc dangereux". Christophe Nick, réalisateur de documentaires (Chroniques de la violence ordinaire, Ecoles en France…), a coproduit avec France 2 l'inquiétant "Jeu de la mort". Il raconte pourquoi il a voulu adapter l'expérience Milgram à la télévision.

Depuis des années, il lui trouve des similitudes avec de nombreux jeux et programmes où "la violence, l'humiliation, la délation, la trahison font le spectacle, et tous les participants obéissent, se dénoncent, s'agressent…". Sans oublier "les premiers jeux de téléréalité mettant en scène le frisson de la mort".

En Grande-Bretagne, Channel 4 filme en direct une véritable "roulette russe", puis diffuse "Anatomy for Beginners" où un médecin dissèque en direct un cadavre masqué. Au Japon, on lance des jolies filles dans de l'eau à 80°C ou on leur envoie des cotons enflammés dans la gorge.

Dans "Scares", MTV montre des accidents en direct tandis que l'animateur s'écrie : "Ne zappez pas ! Plus de sang, plus de larmes ! Plus de cicatrices !" Dans "Fear Factor", TF1 trempe les candidats dans des baignoires d'asticots où ils manquent d'étouffer. Avec l'arrivée de la TNT, les petites chaînes sont prêtes à tout pour décrocher des parts de marché. Ainsi RTL 9 montre désormais des compétitions d'ultimate fight, un combat interdit en Europe où tous les coups sont permis – et les participants sévèrement blessés.

Frédéric Joignot
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 La "Une" du Monde Magazine, daté 13 mars 2010.
DR
La "Une" du Monde Magazine, daté 13 mars 2010.
Image tirée du documentaire de Christophe Nick "Le Jeu de la mort, jusqu'où va la télé ?" diffusé mercredi soir sur France 2.
AFP/FRANCE 2
Image tirée du documentaire de Christophe Nick "Le Jeu de la mort, jusqu'où va la télé ?" diffusé mercredi soir sur France 2.
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  Dans la variante où Tania Young quitte rapidement le plateau, 2 participants sur 7 ont imposé des tortures (soit 28,5% contre 22% des participants, dans cette variante de l’expérience princep de Milgram). Or, le documentaire ne conduit pas d’analyse sur ces cas particulièrement effrayants.  
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