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Textes préparés par le Welfare Rights Committee de Pointe St-Charles
Analyse du projet de loi 112

mardi 10 septembre 2002, par L’équipe de rédaction

La politique actuelle du gouvernement sur les questions liées à la pauvreté est exprimée en ce moment par le Projet de loi 112 et tout ce qui s’y rattache, y compris la Stratégie de lutte annoncée et le processus de consultations à venir. Il est raisonnable de supposer aussi que tout cela fait partie - aux côtés de la politique de reconnaissance, de l’économie sociale, etc.- d’une politique du gouvernement envers les groupes qui luttent contre la pauvreté. Il est donc approprié que nous nous appliquions à comprendre le Projet de loi 112.

Pour ce faire, au moins deux approches différentes sont possibles.

  1. On peut étudier, critiquer et commenter le texte du Projet de loi 112 article par article et, à partir de là tenter d’en saisir l’orientation générale. On arrivera alors à au moins trois conclusions possibles : il faut appuyer 112, l’amender ou encore le rejeter.
  2. La deuxième approche possible pour analyser le Projet de loi 112 consiste à saisir sa place et son rôle dans l’ensemble de la politique du gouvernement à la lumière de tous les choix et actions du gouvernement en matière de lutte à la pauvreté (et de rapports aux groupes communautaires) au cours du passé récent. Dans cette optique, notre but sera de définir notre réponse non pas seulement au Projet de loi mais à l’intervention globale dont le Projet de loi fait partie.

C’est ce que nous tenterons de faire ici. Nous ferons d’abord l’analyse, article par article du Projet de loi -ses chapitres et ses articles- et le commenterons à ce niveau. Puis nous jetterons un regard sur l’ensemble des interventions et choix du gouvernement sur les questions de pauvreté et tenterons d’interpréter 112 dans ce cadre. En dernier lieu, nous ferons part de nos conclusions et discuterons de pistes d’action qui s’offrent à nous.


I. Brève analyse du texte du Projet de loi 112

Le projet de loi se divise en 8 chapitres, mais on pourrait en fait en regrouper les éléments dans les catégories suivantes :

La Présentation des objectifs :
Préambule
Chapitre I : Objet et définitions

Le programme :
Chapitre II : La stratégie de lutte à la pauvreté
Chapitre III : Le Plan d’action

La création de nouvelles institutions
Chapitre IV : Comité consultatif
Chapitre V : Observatoire

Des moyens permettant de mettre le tout en œuvre :
Chapitre VI : Fonds spécial
Chapitre VII : Rapports (modalités, échéances pour leur présentation)
Chapitre VIII : Dispositions diverses, transitoires et finales.

Le coeur du Projet de loi ce sont bien sûr les points en gras, le programme et les institutions, puisque tous les autres points ne servent qu’à introduire, financer, permettre légalement, etc. ceux-ci. Mais regardons quand même tous ces points un à un.

A. Les Objectifs :

Le préambule souligne que la pauvreté est nuisible au développement de la société et des personnes et qu’il faut donc en limiter les causes, l’ampleur et les effets.

Le Chapitre I précise l’objectif : (Guider le gouvernement...vers ...des actions pour...) « ...combattre la pauvreté, en prévenir les causes, en atténuer les effets sur les individus et les familles et contrer l’exclusion sociale ». On présente ensuite le comment : une stratégie (annoncée par le gouvernement mais non contenue dans la loi), des institutions pour conseiller et étudier, un fonds (au montant indéterminé) pour financer le tout (Art. 1). L’article 2 définit la pauvreté comme une situation de privations qui entravent l’autonomie économique et l’inclusion sociale. Le contenu essentiel est ici que le gouvernement déclare qu’il veut combattre la pauvreté.

B. Le Programme

Le chapitre II annonce la « Stratégie » (Art. 3) précise qu’il s’agit d’un ensemble d’actions à venir et à définir (Art. 4).

L’article 5 identifie les buts de la stratégie nationale : 1) « améliorer la situation économique et sociale des personnes ... » 2) « réduire les inégalités qui peuvent les affecter particulièrement » et 3) « développer et renforcer le sentiment de solidarité et la cohésion sociale(...) afin de lutter collectivement contre la pauvreté et l’exclusion sociale ».

Le reste du chapitre (reste de l’Art. 4, 6, 7 et 9) traite surtout des buts généraux, des principes d’action, etc. Le tout est rédigé de manière à suggérer une approche psychosociale : accent sur la prévention de la pauvreté par l’intervention auprès des familles, en éducation, les mesures d’insertion sans référence au système économique et aux politiques néo-libérales. Toutefois, la porte reste ouverte à d’autres interprétations selon la grille de chacun.

On trouve des éléments un peu plus concrets à l’article 8 qui indique que les « actions liées au renforcement du filet de sécurité sociale et économiques doivent notamment viser à : 1) rehausser le revenu accordé aux personnes (..) en tenant compte de leur situation particulière (...) 2) favoriser le maintien ou l’intégration en emploi (...) notamment par des suppléments à leur revenu de travail » 3) rendre accessibles des services (de santé, sociaux, etc.) adaptés aux besoins spécifiques des personnes (...) 4) favoriser l’accès à un logement (...) notamment au logement social (...) »

Essentiellement on dit ici seulement qu’on va continuer à faire -peut-être en mieux- certaines choses qu’on faisait déjà (ou qu’on prétendait déjà faire). Le premier point (hausser le revenu) surprend un peu plus. La seule indication qu’on ait à ce sujet jusqu’ici se trouve dans l’Énoncé de politique du gouvernement concernant la stratégie de lutte à la pauvreté. On y parle de viser une « aide financière accrue » pour les personnes jugées inaptes au travail et de faire en sorte que les autres (les « aptes ») puissent aussi améliorer leur revenu dans la mesure où il travaillent ou développent leurs compétences (p. 35). [1]

Le reste du chapitre traite encore des paramètres, principes (etc.) de l’action gouvernementale. Par exemple : « reconnaître la responsabilité sociale des entreprises » et « soutenir les activités communautaires » (Art. 10). L’article 11 nous apprend que le gouvernement va « discuter », « tenir compte », soutenir l’innovation, etc.

Le chapitre III répète encore qu’il y aura un plan d’action (Art. 12) qui fixera des cibles, des échéances, des modalités, etc. (Art. 13) qui seront définies par le gouvernement (Art. 15). Qui plus est, on précise que le plan d’action pourrait n’être connu que 60 jours après l’adoption de la loi (Art. 12). Donc 112 annonce le plan d’action mais ne donne pas son contenu qui ainsi ne fait pas vraiment partie de la discussion sur le Projet de loi.

On trouve toutefois à l’article 14 quelques éléments plus précis, et qui sont les seuls dans tout le Projet de loi 112 qui suggèrent que son adoption pourrait peut-être entraîner des amendements à la loi sur l’aide sociale.

On y lit : « Le plan d’action doit également proposer des modifications au Programme d’assistance-emploi, dans la mesure prévue par la Loi sur le soutien du revenu et favorisant l’emploi et la solidarité sociale, afin notamment » :

  1. D’abolir les coupures liées au logement ;
  2. "De fixer des règles de calcul permettant de verser une prestation minimale lors de l’application des réductions de prestation liées aux sanctions administratives ou à la compensation effectuée pour rembourser un montant dû..." ;
  3. de permettre une hausse des exemptions pour avoir liquides, pour certains cas dans le cadre d’une « expérimentation » de certains éléments du plan d’action à venir.

(Nous traiterons davantage de ces derniers points un peu plus loin.)

L’Article 16 répète qu’il y aura des programmes et des mesures pour améliorer la situation des personnes, au besoin via des ententes ou projets spécifiques (Art. 17).

L’article 18 nous apprend que le ministre responsable va conseiller le gouvernement, être informé par ses collègues, qu’il fera un Rapport annuel (Art. 19), etc.

C. Les Institutions

C’est la partie la plus développée dans le projet de loi. Elle prévoit la création de deux nouvelles entités, le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (Art. 20) -qui conseille le gouvernement- et l’ Observatoire de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Art. 33) -qui fait de la recherche. Ce sont là les seules décisions qu’entraînerait l’adoption de 112 qui soient d’emblée effectivement et complètement définies avant leur application. Par contre, ces institutions, une fois constituées et prêtes à fonctionner (Articles 21 à 28 et 34 à 39) pourront faire des recherches (Art. 40), informer (Art. 41) et conseiller (Art. 29) le gouvernement mais non décider de quoique ce soit. Le comité consultatif pourra publier ses avis (31), fera rapport (32), il y aura consultations (Art. 30 et 42). On indique aussi que l’Observatoire devra préparer un plan annuel (Art. 43).

L’article 21 précise que le Comité consultatif sera composé de 17 membres dont 15 que le gouvernement choisira parmi les secteurs de la « société civile » (patronat, syndicats, monde municipal, etc.) dont 5 « en provenance d’organismes ou de groupes représentatifs en matière de lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale ».

D. Le fonds spécial, les dispositions transitoires, etc.

Nous choisirons ici de ne pas en traiter puisque tous ces points (Articles 44 à 64) ne servent en réalité qu’à appuyer la réalisation du Projet de loi en tant que tel. Il faut toutefois relever l’article 59 qui précise qu’on ne pourra pas s’appuyer sur 112 pour modifier d’autres lois.

Conclusion générale :

Résumons d’abord le contenu du Projet de loi. Nous avons vu que :

  1. Le projet de loi 112 est essentiellement fait de déclarations d’intention sur la lutte à la pauvreté en général et indique tout un programme de discussion et d’élaboration dont il établit certains paramètres, principes, etc..
  2. La seule décision vraiment concrète et définie d’emblée que son adoption entraînerait serait la création d’institutions non décisionnelles (Comité consultatif et Observatoire) engagées dans ce travail qui se poursuivrait pendant des années.
  3. Les sections sur la Stratégie de lutte et le plan d’action apportent des précisions sur la « poutine » mais très peu sur les mesures effectives qu’on prévoit et qui sont présentées plutôt sous forme d’intentions générales : « favoriser la réussite scolaire », « améliorer les emplois », « favoriser l’accès au logement, etc., ou d’ouvertures sur des possibilités (« hausser les revenus », etc.). Absolument rien toutefois n’indique qu’on s’apprête à rompre avec la division « aptes/inaptes » et l’approche des revenus conditionnels aux démarches en emploi pour ces derniers. On y trouve toutefois quelques éléments plus élaborés à l’article 14.

Voici comment nous réagissons sur ces 3 dimensions du Projet de loi :

1. Plutôt que de se demander si on est d’accord avec les nombreux énoncés qu’on retrouve dans le texte du Projet de loi - qui sont le plus souvent de l’ordre des intentions, des théories ou des opinions, nous croyons plus approprié de ne considérer essentiellement que les décisions effectives qu’entraînerait l’adoption du Projet de loi. Nous ne pensons pas qu’il soit très utile de définir des propositions visant à amender de bonnes intentions par de meilleures intentions, des opinions avec de meilleures opinons, un certain vocabulaire avec un meilleur vocabulaire et ainsi de suite. Nous ne ferions ainsi qu’aider le gouvernement à peaufiner son discours. Mais en fin de compte, seules les actions du gouvernement compteront vraiment.

2. Inutile de trop s’étendre sur ces institutions sans pouvoir de décision et entièrement nommées par le gouvernement. Notons seulement que si l’Observatoire a un mandat plutôt technique, le Comité consultatif a un mandat plus politique. Même sans pouvoir de décision, il pourra donc avoir un poids moral. Le gouvernement pourra toutefois se prémunir contre de mauvaises surprises puisque c’est lui qui nomme les membres du Comité.

Au-delà de ces observations, on doit se dire surtout que le gouvernement n’a pas besoin de notre permission de toute façon pour créer des instances consultatives ou de recherche et on n’a pas de raison de vouloir l’empêcher de le faire. (Ce qui compte c’est, comme avant, l’autonomie de notre mouvement qu’il s’agisse d’effectuer nos analyses ou de porter nos revendications et propositions).

3. Il serait peu utile aussi de vouloir améliorer des propositions d’action qui dans la plupart des cas sont essentiellement virtuelles. Les quelques points plus définis qu’on trouve à l’article 14 méritent toutefois qu’on s’y arrête.

D’abord, l’abolition de la coupure pour partage du logement : promise par le PQ lors de la campagne électorale de 1994 ( !), elle avait déjà été décidée et annoncée. Ce n’est pas une mesure qui attendait le Projet de loi 112 pour être réalisable. Le Projet de loi ne fait qu’en répéter l’annonce.

Quant à la hausse des avoirs liquides dans certains cas, on peut interpréter cela comme la simple annonce d’une intention de faire des expériences pilotes. Cela dit, toute hausse de cette exemption serait évidemment bienvenue. Il faut noter toutefois que là encore, nul besoin de 112 pour agir là-dessus puisque le montant de cette exemption dépend du Règlement (non de la loi) et que le gouvernement peut donc en décider quand il veut - ce qu’il a fait déjà lorsqu’il a réduit cette exemption à zéro ( !) pour les nouveaux appliquants il y a quelques années.

Reste donc le seul point un peu concret -qui serait effectivement un résultat de 112 si adopté : (que le Plan d’action propose des modifications afin de) « fixer des règles de calcul permettant de verser une prestation minimale lors de l’application des réductions de prestation liées aux sanctions administratives ou à la compensation effectuée pour rembourser un montant dû ».

Pour en apprécier la portée, il sera utile de comparer à ce qu’il y a déjà dans la loi à ce sujet de même qu’à la formule que nos groupes ont mis de l’avant afin d’assurer le versement d’une prestation minimale soit le barème plancher.

D’abord, la loi actuelle. L’article 117 de la Loi sur le soutien du revenu prévoit que le montant des retenues sera établi par le Règlement. [2] On trouve donc les détails à l’article 188 du Règlement où on peut lire : « le montant de cette retenue (ou/et) de la réduction prévue à l’article 152 (il s’agit des sanctions administratives pour refus ou abandon d’emploi -NDLR) ne peuvent réduire de plus de 50% le montait qu’aurait autrement reçu l’adulte ou sa famille (..) »

Une grande nouveauté donc dans le Projet de loi 112 est qu’au lieu de limiter les sanctions et retenues par le calcul d’un pourcentage de la prestation, on aurait des règles de calcul permettant de verser une prestation minimale - ce qui est différent, à moins bien entendu que la règle de calcul de cette prestation minimale ne soit ...un pourcentage ( !) puisque rien dans la formulation de l’article 14 du Projet de loi ne l’empêcherait.

Plus important encore, la nouvelle règle de calcul -qu’on ne connaît toujours pas- ne ferait que permettre de verser une prestation minimale. Il pourrait donc très bien ne s’agir que d’une mesure discrétionnaire et non de la garantie d’un minimum.

Ça, c’est si on se rend aussi loin, puisque ce que 112 dit vraiment, si on relit attentivement, c’est que le Plan d’action - qui ne sera connu, rappelons le, que 60 jours après l’adoption de la loi- devra proposer de telles modifications. Il n’y aura aucune obligation. Et on rajoute à cela l’article 59 pour être sûr qu’il n’y ait aucun malentendu : « La présente loi ne doit pas être interprétée de manière à étendre, restreindre ou modifier la portée d’une disposition d’une autre loi. »

L’instauration d’un barème plancher aurait une portée infiniment plus claire et précise. Les réductions sur le chèque seraient limitées par un nouveau barème, un nouveau montant dont la loi dirait explicitement et expressément qu’il doit couvrir des besoins qui y sont identifiés. Ce qu’on retrouve dans 112 est donc passablement loin du barème plancher : il ne s’agit sans doute que d’une modification au Règlement -et encore, peut-être seulement !- permettant de verser un minimum dont le calcul n’est encadré par aucun critère. [3]

Voilà ! Nous n’avons pas beaucoup analysé le discours. Mais nous avons maintenant mesuré toute la portée pratique du Projet de loi 112.

Faut-il l’appuyer, l’amender, le rejeter ? Il n’y a essentiellement rien de concret à appuyer, nous n’avons aucune raison de rejeter de bonnes intentions et il y a trop peu dans le Projet de loi pour qu’un exercice d’amendement puisse être autre chose que du discours sur le discours.

En fait, le contenu du texte est si mince qu’il apparaît improbable que ce soit là le vrai contenu. Ce vrai contenu, c’est-à-dire ce que le gouvernement veut faire avec son Projet de loi 112, se trouve sûrement ailleurs.


II. La place du Projet de loi 112 dans la politique du gouvernement

À moins de pouvoir lire dans les pensées du Premier ministre, nous devrons plutôt poser une hypothèse de travail et vérifier si elle est confirmée ou non par la pratique passée, présente et à venir du gouvernement. Plusieurs hypothèses peuvent être formulées afin d’expliquer cette politique, hypothèses qui ne sont nullement en contradiction les unes avec les autres

112 et l’échéance électorale

Le gouvernement est en terrible posture pour affronter les prochaines élections et il n’a pas besoin de se faire de nouveaux ennemis. Lorsque le Québec était en récession et que la priorité était à la réduction des dépenses, il a « vargé » comme pas un sur les personnes assistées sociales, mais la reprise économique et des conditions budgétaires favorables lui permettent aujourd’hui de jeter du lest et de faire quelques concessions. Il s’assure en même temps de maintenir intacts tous les instruments d’une politique néo-libérale résolue. Il n’a aucune objection à l’amélioration du revenu des personnes -en fait, de meilleures statistiques et de meilleurs indicateurs économiques en matière de pauvreté sont des choses dont on ne détesterait pas pouvoir se vanter. Ce que l’orientation néo-libérale exige c’est non pas d’étendre la misère à tout prix, mais simplement d’assurer que ce soit le marché qui domine et donc qu’on conditionne les revenus des personnes aptes au travail à leurs démarches en emploi, en s’assurant autant que possible que leurs revenus ne soient pas fondés sur un droit. C’est pourquoi le gouvernement est prêt à faire des concessions (qui ne soient pas inscrites dans la loi- parce qu’il veut conserver la liberté de couper dans l’avenir) mais refuse aussi obstinément de céder sur l’abolition du droit à l’aide sociale, à laquelle il s’est appliqué avec une belle constance et qu’un barème plancher pourrait rétablir.

On pourrait aussi trouver un autre motif électoraliste derrière 112. En mettant en branle un processus impliquant -d’une certaine façon- plusieurs groupes anti-pauvreté et qui ne sera pas complété avant les élections, on pourrait les motiver à se dire, au moins intérieurement : « Il faut réélire le PQ si on veut pouvoir continuer à aller de l’avant avec tout ça... »

Ajoutons finalement que 112 devrait permettre aussi au gouvernement de nommer lui-même les « représentantEs » du mouvement contre la pauvreté qu’il désignera pour siéger au Comité consultatif ce qui, s’il les choisit judicieusement, pourrait s’avérer très utile au PQ, qu’il soit au gouvernement ou dans l’opposition.

112 et les commandes de la Banque mondiale

Ce qui surprend dans cette démarche gouvernementale d’une loi contre la pauvreté, c’est qu’elle se situe après des années de poursuite du déficit zéro, de sabrage, de réformes et de coupures sauvages dans nos programmes sociaux, en santé, à l’aide sociale, à l’aide juridique, en éducation,... comme si tout à coup, ce gouvernement avait entendu notre message de lutte à la pauvreté. Serait-ce que le renard aurait finalement compris et voudrait maintenant le bien des poules ?

Il faut se demander si le gouvernement, par sa « lutte à la pauvreté », ne répond pas plutôt, encore une fois, aux commandes du FMI et de la Banque Mondiale, tout comme il l’a fait auparavant dans ses nombreuses réformes et coupures. Une visite sur le site de la Banque mondiale (www.banquemondiale.org) suffit pour constater que les termes et expressions « Stratégies de réduction de la pauvreté » et « Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté » sont partie prenante de la pensée de ces grands décideurs depuis... 1999 !

Comprenons-nous bien : quand ils parlent de « lutte à la pauvreté », il n’est nullement ici question de droit. Comme le disait Lucie Lamarche :

« La pauvreté est traitée comme une menace au marché et non plus comme une question de dignité humaine, malgré le discours employé. (...) Un pauvre n’est pas un acheteur potentiel... Partout dans le monde, le secteur corporatif, en recourant aux fondations, s’investit dans le développement à la place de l’État. Comment est défini le développement ? De manière quantitative et non qualitative. Pour les acteurs privés, la lutte à la pauvreté est appréhendée comme un investissement humanitaire. À y regarder de plus près, il s’agit d’investir dans un capital humain, qui doit être rendu fonctionnel aux fins du fonctionnement du marché. Il ne s’agit pas de redistribuer la richesse, mais d’agir sur les foyers « d’insécurité ». Le rôle de l’État est ainsi redéfini pour s’assurer que ces foyers ne sont pas oubliés. Chaque individu est vu comme un potentiel de danger.

(...) Le corollaire de l’investissement du privé dans le social, c’est le remplacement d’un régime de droits sociaux par celui de concepts flous : le travail devient décent, la promotion des droits est remplacée par la lutte contre la pauvreté. » [4]

À la lumière de ces informations, l’action du gouvernement s’explique et se comprend mieux. On saisit mieux ce que signifient les énoncés du préambule gouvernemental : « ...la pauvreté est nuisible au développement de la société et des personnes et il faut donc en limiter les causes, l’ampleur et les effets. ...combattre la pauvreté, en prévenir les causes, en atténuer les effets sur les individus et les familles et contrer l’exclusion sociale ». Le gouvernement répondrait donc bel et bien à une commande du FMI et de la Banque Mondiale.

Certains groupes risquent malheureusement de ne pas voir cela, peut-être tout simplement parce qu’ils veulent croire au grand rêve du « tous unis contre la pauvreté ». Et tant le gouvernement que les fondations privées (comme la Fondation Chagnon) financeront en priorité les initiatives qui se consacrent à la « lutte contre la pauvreté », plutôt qu’à la lutte pour les droits. Comme le disait Lucie Lamarche à la rencontre d’Action-Gardien :

« ... les ONG financées par de tels fonds privés deviennent donc de puissants régulateurs de comportements sociaux, sans parler de leur capacité de bâillonner (parfois sans le vouloir) les revendications politiques. »

112 vs Barème plancher

La campagne pour un barème plancher posait un défi difficile pour le gouvernement puisqu’elle menaçait d’exposer sa vraie politique d’abolition des droits économiques les plus fondamentaux. Le gouvernement ne pouvait pas argumenter de front contre le droit à un minimum pour vivre sans dommages sérieux pour son image social-démocrate.

Sa réponse fut donc d’abord d’opérer autant que possible un « black-out » sur cette question. Puis, à mesure qu’il devenait plus difficile d’ignorer complètement la question, il s’efforçait de la confondre avec d’autres mesures plus faciles à opposer comme le Revenu de citoyenneté de 17000$ par année pour les 5 millions d’adultes du Québec. Mais même cela devenait insuffisant au moment du Sommet de la jeunesse et à l’approche de la Marche des femmes. Sa politique fut donc de faire quelques concessions -qui autant que possible ne soient pas de l’ordre des lois et de tout noyer dans une vaste discussion sur la pauvreté en général. Il pouvait ainsi se montrer « généreux » dans son attitude, son approche, sa disposition au dialogue tout en évitant de se démasquer dans des débats plus pointus tels qu’une discussion du barème plancher.

Ceci permet de mieux comprendre le Projet de loi 112 qui propose de poursuivre cette discussion sur la pauvreté en général. En effet, quel débat est préférable pour le gouvernement :

-  une discussion sur « lutter contre la pauvreté » -vs- « viser carrément un Québec sans pauvreté » ? ou

-  un débat sur le droit ou non pour un gouvernement de ne pas assurer la couverture des besoins vitaux pour tous les québécois-e-s, i.e. le droit de les priver de nourriture, de gîte ou de médicaments ?

Et jusqu’ici, ça marche : le gouvernement a assez bien réussi à éviter le débat sur le barème plancher grâce aux discussions sur la lutte contre la pauvreté en général.

Que pouvons-nous faire ?

Pourtant le gouvernement est en position d’extrême faiblesse : il est troisième dans les sondages et le PQ jouera sa survie lors des prochaines élections. En plus tout ça se passe au moment où nous sommes encore en période de reprise et de surplus budgétaires (mais sans doute plus pour longtemps). Ce serait le moment rêvé pour arracher des gains significatifs si tout n’était pas si complètement englué dans le niveau de débat qu’a réussi à imposer le gouvernement.

Les consultations sur le Projet de loi 112 nous offrent toutefois la possibilité de profiter d’une brèche. Nous pourrons y poser la question de fond que le gouvernement tente d’éluder par cette opération, celle des droits économiques les plus fondamentaux et de leur respect ou non respect par le gouvernement.

Nous pourrions le faire en soumettant - et en diffusant, faisant publier, etc. - des mémoires qui se concentrent sur un seul point : donnez l’heure juste sur vos intentions réelles en éliminant d’abord la pauvreté la plus extrême et en garantissant, par un barème plancher, la couverture des besoins les plus essentiels de tous et toutes.


[1] Le « Revenu de solidarité » dont on y traite ne serait qu’une « cible », un montant de référence, et non un revenu garanti.

[2] On peut donc supposer raisonnablement que 112 entraînerait ici une modification au Règlement et non à la Loi.

[3] En fait, tout ce qu’on a fait vraiment ici a été de trouver une formule qui permette de glisser les mots « prestation minimale », sans que cela ne porte à conséquence, sans doute à seule fin de faire croire à une ouverture sur la question du barème plancher.

[4] « L’arrivée de la Fondation Chagnon dans notre milieu : menace ou opportunité ? » ; compte-rendu de la journée de réflexion et d’analyse sur la Fondation Chagnon, organisée par Action-Gardien de Pointe St-Charles le 29 mai 2002 ; exposé de Lucie Lamarche, professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM.