La visite d’un officiel américain en Tunisie au début de ce mois a été l’occasion de lire plusieurs points de vue sur les liens ou les contacts que des tunisiens doivent avoir ou non avec l’étranger.
Il s’agit de points de vue intéressants dans la mesure où ils montrent ô combien les tunisiens sont incertains des conduites à tenir vis-à-vis des puissances étrangères pour anticiper l’après Ben Ali, et combien les frontières entre rôles des uns des autres sont floues et fluctuantes.
Qu’une association de défense des droits de l’homme refuse de rencontrer un officiel américain pour protester contre les atteintes aux droits de l’homme dont se rendent responsables les états-unis et on pensera à juste titre qu’elle est bien dans son rôle et sur son terrain d’action.
Que cet officiel souhaite rencontrer, et rencontre des membres de la société civile, des personnalités connues, on pensera qu’il est lui aussi dans son rôle en cherchant à dialoguer, à faire passer des messages ou à influencer les points des vues locaux pour qu’ils soient favorables à la politique de son pays ; surtout si ses services lui ont expliqué qu’ils comptent en terme d’influences.
Bien entendu dans le climat politique tunisien, on peut s’interroger sur la pertinence des personnalités de la société civile ou sur la représentativité de leurs points de vue. Mais finalement demande-t-on à des intellectuels d’être représentatifs d’un peuple ?
Certes non. Par contre, on aurait pu souhaiter que ces mêmes personnalités connues encouragent, en les faisant convier, de nouvelles têtes, de nouveaux esprits. Là, oui il y a de quoi râler et penser que ces entretiens ou dîners ne se déroulent encore et toujours avec les mêmes têtes et pour les mêmes discours. Mais peut-on reprocher aux américains de ne pas prendre de risques en invitant des gens pour un échange convenu dont l’issue ne fait ni de doutes, ni de vagues ?
Par contre, il me semble totalement inconscient, à moins de préférer et de se complaire dans l’inertie de l’opposition, de reprocher à des représentants de l’opposition de prendre des contacts avec une puissance incontournable sur la scène politique et économique mondial. Pis, d’exiger qu’elles n’en fassent rien pour des motifs et des combats qui sont ou devraient être ceux des organisations de défense des droits de l’homme.
On retrouve le mélange de rôles évoqué plus haut où, depuis des années, la sphère politique étant vide, certains de ses acteurs ont envahi la sphère des ONG ou associations.
On ne peut pas reprocher à des leaders politiques une absence de projet de société et de se mettre en position de prendre le pouvoir et en même temps de prendre les contacts nécessaires pour démontrer une aptitude à la gouvernance vis-à-vis des puissances étrangères. Si les manquements graves au respect des droits de l’homme en Tunisie sous le régime du RCD doivent être dénoncés par tous, y compris le personnel politique, ce dernier doit aussi et surtout faire de la politique au sens de démontrer et de se donner les moyens d’être en position de gérer la Cité. Un leader politique responsable se doit de se mettre en position, vis-à-vis de ses futurs partenaires, notamment économiques, de faire valoir son point de vue et son projet de société.
Quand le Président Chirac a donné cette gifle aux tunisiens en prétendant que le 1er des droits de l’homme est de manger, l’opposition tunisienne devait-elle rompre tout contact avec les officiels de France en attendant qu’elle fasse pression sur le RCD pour faire cesser le viol de la République ? Cela aurait conduit à un isolement de l’opposition et son cantonnement dans un rôle relevant des ONG, déjà assez confortable. Les puissances étrangères, et en particulier la France, jouent la carte des pouvoirs en place, gage pour elles de stabilité de leurs intérêts économiques. A nouveau, on ne peut pas reprocher à des pays de s’ingérer dans la gestion d’un autre et en même temps d’exiger un positionnement public sur la libération de prisonniers politiques. C’est incohérent. Sauf à ce que cette incohérence exigée, revendiquée soit l’expression d’une volonté de laisser l’opposition tunisienne dans l’état de déliquéscence politique dans laquelle elle se trouve.
Si personnellement, je trouve que les sondages sur le net n’ont pas beaucoup d’intérêt, celui proposé par Tunisnews.net est représentatif de l’ensemble de ces questions, des incohérences de l’opposition tunisienne et du problème des frontières entre les rôles des uns et des autres.
Question : "Les vrais opposants tunisiens ont intérêt à avoir des contacts avec les américains ?"
Le terme "vrais opposants" permet une double lecture. Soit on parle (comme j’imagine que c’est le cas ici), des opposants appartenant à l’opposition de décor, celle officielle qui permet de donner le change à Ben Ali dès lors que la Tunisie est interpellée sur les droits de l’homme, soit on considère que les vrais opposants seront ceux qui auront eu le bon comportement par rapport à la question posée.
Si on observe les réponses générales (à la date de rédaction de ce papier), un gros tiers considérent cela normal ([39.6%] Oui, bien sûr), un tiers est choqué ([34.4%] Non, c’est de la trahison), 20 % pensent que cela ne servira à rien et 5 % n"ont pas d’opinion.
Malgré la formulation des choix (le terme "trahison" ne fait pas très objectif dans ce sondage, non ?), les résultats sont assez équilibrés.
La diffèrence notable se trouve entre les plus de 45 ans et les moins de 25 ans (le nombre de répondants étant à peu prés le même contrairement à la sur-représentation des hommes dans la répartition par sexe).
Réponses des plus de 45 ans.
Les vrais opposants tunisiens ont intérêt à avoir des contacts avec les américains
8 réponses.
[62.5%] Non, c’est de la trahison
[25%] Oui, bien sûr
[12.5%] ça ne servira à rien
[0%] Sans opinion
Réponses des moins de 25 ans.
Les vrais opposants tunisiens ont intérêt à avoir des contacts avec les américains
7 réponses.
[42.8%] Oui, bien sûr
[28.5%] Non, c’est de la trahison
[14.2%] Sans opinion
[14.2%] ça ne servira à rien
La jeunesse tunisienne serait-elle plus ouverte sur les obligations du personnel politique dans un contexte de mondialisation qui est le sien depuis toujours, contrairement aux plus âgés habitués à rester isolés et entre quelques uns ?
Il faudrait une enquête plus importante qu’un simple sondage, aussi intéressant soit-il, pour cerner l’évolution des mentalités des femmes et des hommes, et en particulier des plus jeunes, vis-à-vis d’une opposition dont la parole est soit confidentielle, soit confisquée par quelques apprentis sorciers qui assimilent l’opposition au régime dictatorial sur la base d’un comportement qu’ils n’ont pas accepté. On peut reprocher beaucoup de choses à l’opposition, et l’auteur ne s’en est jamais privé. Mais jouer la carte du confusionisme (l’art de tout mélanger pour éviter de faire ou de proposer) est au mieux crétin au pire criminel pour l’avenir d’une Tunisie qui veut se créer sans Ben Ali, sans le RCD et sans ces vieilles rengaines depassées qui cantonnent le débat et l’espoir de la Tunisie à des lieux communs usés.