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pape Honorius confia à Dominique encore une autre
tâche: organiser et diriger une mission de prédication
en Lombardie. Des lettres pontificales furent envoyées
à des religieux de divers couvents italiens, leur
enjoignant de se mettre à la disposition de Dominique,
nommé chef de la mission. Il s'agissait, tout comme
dans les missions en Languedoc, de regagner des cathares
et des vaudois. Ainsi, au cours des années 1220
et 1221, Dominique chemina presque sans arrêt sur
les routes du nord de l'Italie pour y prêcher. Du
succès de cette mission nous ne savons à
peu près rien. Elle fut à coup sûr
aussi difficile qu'en France et on ne pouvait s'attendre
à des conversions en masse. Au fond, tout autre
que Dominique aurait pu conduire cette mission. Mais il
était considéré par la curie comme
un expert pour tout ce qui touchait à la prédication.
Cette nouvelle existence itinérante altéra
gravement sa santé. Les accès de faiblesse
devenaient plus fréquents. Parfois il ne pouvait
avaler que des légumes et du bouillon d'herbes.
Lorsque,
en mai 1221, il revint à Bologne où devait
se tenir le deuxième chapitre général
de l'ordre, c'était un homme à bout de forces,
qui n'avait plus que quelques mois à vivre. Pourtant,
comme toujours, il le laissa à peine voir et ne
se ménagea pas. Comme ses frères le relatèrent
plus tard, il ne se relâcha d'aucune des sévérités
de la règle, alors qu'il accordait généreusement
des adoucissements aux frères malades ou épuisés,
car ces observances étaient ordonnées au
but de l'ordre, c'est-à-dire à la prédication,
et n'étaient pas un but en soi. En 1220, la conclusion
du premier chapitre de Bologne l'avait précisé:
"Que le supérieur ait en son couvent pouvoir
de dispenser les frères chaque fois qu'il l'estimera
convenable, principalement en ce qui paraîtrait
faire obstacle à l'étude, à la prédication
ou au profit des âmes." Dominique, certes,
blâmait sans indulgence les manquements de certains
frères et prescrivait les pénitences prévues
mais il n'agissait jamais sous le coup de la colère
et préférait reprendre en particulier le
frère fautif.
Dans
une seule occasion on le vit vraiment irrité. Revenant
à Bologne après une tournée de prédication,
il s'aperçut qu'en reconstruisant le couvent on
avait agrandi les cellules. Il appela aussitôt le
frère responsable et lui ordonna de faire démolir
le nouveau bâtiment. Il ne s'agissait plus d'une
faute individuelle mais du danger pour la communauté
de s'écarter du fondement de la pauvreté
apostolique.
Cette
obligation de pauvreté pour la communauté
avait déjà abouti, au premier chapitre général,
à l'interdiction d'accepter soit des biens fonciers,
soit des revenus de n'importe quelle nature. Cela n'impliquait
pourtant pas qu'on dût refuser le don d'une maison,
en toute propriété, pour y fonder un couvent,
car Dominique reçut de telles donations à
maintes reprises. Cette interdiction portait sur des rentes,
des revenus fixes dont un couvent aurait pu vivre. La
communauté devait subsister à l'aide d'aumônes,
comme chaque frère en particulier. Il était
donc interdit d'élever des constructions qui seraient
source de dépenses et dont l'entretien, trop lourd
pour la communauté, donnerait aussi motif à
la population de se scandaliser.
A
ce deuxième chapitre général, on
peut dire que Dominique, déjà gravement
malade, procéda à la " mise en ordre
de ses affaires ". Il le fit d'abord en déléguant
les pleins pouvoirs que jusqu'alors il exerçait
seul comme prieur et maître de l'ordre. A ce chapitre,
on décida que plusieurs couvents d'une région
seraient groupés en une province ayant à
sa tête un prieur provincial: celui-ci " jouit
dans sa province des mêmes pouvoirs que le maître
de l'ordre et ceux de la province lui rendent les mêmes
honneurs qu'ils font au maître de l'Ordre ".
Après
la clôture du chapitre de Bologne, Dominique reprit
ses activités accoutumées: il travailla
avec ardeur à la fondation d'un couvent de religieuses
à Bologne même, il alla prêcher en
Lombardie. Fin juillet, il revint à Bologne, épuisé,
secoué à la fois par des accès de
fièvre et de violentes douleurs intestinales. Il
put encore une fois rassembler ses forces pour prendre
part aux pourparlers concernant le couvent des religieuses.
Mais au début d'août il fut vaincu par la
maladie. Couché sur un matelas dans un coin du
dortoir, il attendait la fin en priant et en méditant.
Lorsque la fièvre se calmait, il priait avec le
frère qui le gardait ou s'entretenait avec les
novices qui venaient le voir. Les frères, qui n'avaient
pas encore perdu l'espoir d'une amélioration, le
transportèrent au prieuré bénédictin
de Monte Mario, hors de la ville et de sa chaleur étouffante.
Mais ce geste d'affection fut inutile. Au matin du 6 août,
les frères de Saint-Nicolas gravirent la colline
et Dominique fit devant les prêtres de la communauté
une confession générale; il reconnut n'avoir
jamais eu dans sa vie de relation sexuelle, mais quand
les frères se furent retirés et qu'il resta
seul avec l'un d'entre eux, il lui dit : " J'ai mal
fait de parler devant les frères de ma virginité,
je n'aurais pas dû le dire. " Lui qui ne parlait
jamais de lui, qui jamais ne s'offrait en modèle,
ne se pardonnait pas d'être sorti de cette réserve
à l'heure de la mort.
Pendant
qu'on lui administrait l'extrême-onction, un incident
se produisit, que nous avons peine à comprendre
aujourd'hui (mais il faut le situer dans le contexte juridique
de l'Église de ce temps): le clerc desservant la
chapelle déclara que si Dominique mourait au prieuré,
c'est là qu'il devrait être enterré
! Les frères ne l'acceptèrent pas. Le mourant
fut ramené sur une civière au couvent Saint-Nicolas
et couché, puisqu'il n'avait pas de cellule à
lui, dans la cellule d'un frère. C'est là
qu'il mourut, entouré de tous ses frères,
au soir du 6 août 1221. Une tradition rapporte qu'il
leur dit: " Ne pleurez pas ! Je vous serai plus utile
et porterai pour vous plus de fruit après ma mort
que je ne le fis dans ma vie. "
Une
légende accompagne son entrée dans la vie,
une autre s'est répandue à propos de sa
mort. Jourdain de Saxe la relate ainsi: " Le même
jour, à l'heure où il trépassa, frère
Guala, prieur de Brescia, puis évêque de
la même ville, se reposait auprès du campanile
des frères de Brescia. Il s'était endormi
d'un sommeil assez léger lorsqu'il aperçut
une sorte d'ouverture dans le ciel par laquelle descendaient
deux échelles radieuses.
Le
Christ tenait le haut de la première échelle,
sa Mère le haut de l'autre; et les anges les parcouraient
toutes deux, les descendant et remontant. Un siège
était placé en bas, entre les deux échelles,
et quelqu'un, sur le siège. Ce paraissait un frère
de l'ordre; son visage était voilé par la
capuche comme nous avons coutume d'ensevelir nos morts.
Le Christ et sa Mère tiraient peu à peu
vers lé haut les échelles, jusqu'à
ce que celui qu'on avait installé tout en bas parvînt
jusqu'au sommet. Quand on l'eut reçu dans le ciel,
au chant des anges, dans la splendeur d'une lumière
immense, l'étincelante ouverture du ciel se ferma
et plus rien désormais ne se présenta. Le
frère qui avait eu la vision, quoiqu'il fût
assez malade et faible, reprit bientôt ses forces
et partit sur-le-champ pour Bologne. Il y apprit que le
même jour, à la même heure, le Serviteur
du Christ Dominique y était mort. "
(Source
: Hertz, Anselm. Nils Loose, Helmuth. Dominique et
les dominicains. Cerf, 1987.)