Ce n’est point de gaieté de cœur que l’on parle de la mort. Surtout au lendemain de l’an 1 d’un “apocalypse day’’ sénégalais, je veux dire le naufrage du Ms Le Joola au large des côtes gambiennes. Ce jour, la mer, un élément de la création, a mis fin à près de deux mille vies. Pour ce drame, c’est la responsabilité humaine qui a été dénoncée. Mais chaque jour, des créatures arrivent au terme de leur existence terrestre.
A la suite d’hier, nous traitons de la mort pour boucler deux mois de vacances. Et la recherche de l’originalité n’a pas conduit à la marginalité, mais peut-être à la différence. Nous ne voulons donc pas parler de la mort pour remuer le couteau dans la plaie toujours béante, encore moins faire dans la tristesse et provoquer des larmes dans les chaumières.
Traiter de la mort, c’est revenir à nous-mêmes, ayant à l’esprit que c’est Dieu qui a donné, c’est Dieu qui a repris. Oui, tout mène à la mort. Et s’il est vrai qu’«un seul être vous manque et tout est dépeuplé», il est tout aussi soutenu qu’un seul être vous manque et tout est repeuplé. Oui, c’est l’univers des morts qui s’agrandit. Et ce sont les cimetières qui se remplissent. Les cimetières ? L’objet de notre préoccupation depuis hier : des points d’histoire, les tendances dominantes avec des études de cas de mort…
C’est parce qu’à l’image de la vie et des vivants, les morts ont des profils aussi différents que leur environnement social. C’est parce qu’à l’image de la société, les cimetières reflètent les inégalités sociales. Dans les cimetières, les quartiers ou les sections sont aussi différents que nos habitats. Dans les cimetières comme dans les villes, les étages toisent les baraques. Le marbre titille le coquillage et se moque du ciment sec et des tombes nues. Il en va des tombeaux construits à coup de millions de francs Cfa aux surfaces entourées simplement de pierres ou de piquet pour identification. Selon qu’on est riche ou pauvre.
Comme dans la vie de tous les jours, riches et pauvres cohabitent dans les maison de repos éternel où, nous sentons que la différence entre les hommes, en tout cas sur terre, est nette. Le contraste est si frappant que l’on parle d’illustres et d’anonymes morts, pour faire dans la métaphore.
Normal, si l’on sait que le business n’a pas d’éthique et a investi le marché de la mort : c’est l’industrie de la mort. On gagne sa vie sur la mort de ses semblables pour ne pas dire qu’on se nourrit de morts. Des morts qui sont loin de croire qu’ils permettent de vivre, en perdant la vie. Et des opportunités que certains offrent à des vivants, d’aucuns se frottent les mains, s’ils ne bâtissent pas simplement fortune : les croque-morts, les vendeurs de matériaux de construction, les fleuristes, les fabricants de cercueil, de lit mortuaire, l’entretien des caveaux, etc.
Il faut casser la tirelire pour le luxe des tombeaux et caveaux. Il faut casquer pour des obsèques dignes de leur nom. Il faut saigner pour “honorer’’ ses morts. Il paraît qu’il en est ainsi des héritiers pour que leurs futurs héritiers s’occupent d’eux, quand la faucheuse sévira. Et le rituel de la mort se vicie de plus en plus. Et les morts coûtent les yeux de la tête. Ceux qui n’en ont pas les moyens sont même accusés d’avoir abandonné leurs défunts. Et au rythme où évoluent les choses, c’est à croire que c’est le luxe du tombeau qui garantit le paradis.
Le mieux, en tout cas, est de ne pas profaner nos morts. Dieu ne tiendra pas compte du marbre ou des pierres qui ornent nos cimetières pour nous affecter un lopin de terre. A l’enfer. Au paradis. Prions pour les morts. En attendant notre tour.
Babacar DIOP