Une fois de plus, nous n’aurons de cesse de dénoncer l’autre prison, celle qui enferme tous les tunisiens sans qu’ils ne voient le moindre uniforme de policier pointer à l’horizon.

Cette semaine, la plume acerbe d’un des rédacteurs de Réveil Tunisien tentera de s’ingénier à dépecer quelques termes, expressions, idées en vogue véhiculées par nos polticiens et reprises par notre peuple.

Elles constituent la structure de cette "autre prison", ce sont ses barreaux, ses chaînes, ses gardiens, ses plantations d’orties qui se ramifient vers la prison bien réelle et palpable qui enserre entre ses griffes des milliers d’êtres humains pour délit d’opinion, délit de pensée, délit de liberté,... le délit de leur propre nature. Presque commis à l’insu d’eux mêmes.

Pour une fois, je ne mettrais pas d’un côté les politiciens officiels, frappés du sceau hallal et ceux de l’opposition, du domaine du haram. Car presque tous participent à leur façon à nous enfermer dans des schémas de pensée délibérement castratifs.

La technique est éprouvée. Aristote nous enseignait que l’esprit du technicien déforme l’intention de l’esprit pur en l’enfermant dans des principes rigides et donc facilement contournables. Ce qui permet aussi accessoirement de sauver les apparences et de se donner celle de la vertu. En clair, si toutes nos valeurs ne nous ont pas protégées de la tyrannie, c’est qu’elles n’étaient qu’une ligne Maginot... juste bonne a être contournée.

Par opposition à notre supposée incurie, combien de fois nous sommes nous vus "remettre en place" par les hérauts de la responsabilité citoyenne ? C’est que pour nombre de penseurs autopromus au sommet des myriades tunisiennes, le recyclage des idées véhiculées par les milieux les plus autoritaires de notre intelligentsia, est de bon ton. Combien de fois pourrons nous lire des textes de entendre des mots d’opposants qui nous traitent en mineurs ? Exactement comme des rcdistes ! A ce qu’il paraît, si nous en sommes là, ce serait uniquement de notre faute car par un quelconque atavisme du sort, nous n’aurions que ce que nous méritons.

J’ai participé à cette responsabilisation mais dans des limites que j’ai toujours eu à l’esprit et que je vais maintenant énoncer plus clairement. Notre culpabilité n’est qu’apparente et elle n’est pas un fait délibéré. Certes, rejeter sur un acteur extérieur la source de notre cataclysme est une erreur de jugement, une volonté de fuite qui finirai par nous être vraiment fatale si elle devenait un reflexe. Mais, ce stade dépassé, aucun de nous n’est particulièrement coupable de la situation dans laquelle se trouve notre pays. Ni d’ailleurs nos ancêtres qui donnèrent en leur temps ce qu’ils pouvaient offrir.

Notre responsabilité dans le fléau de la tyrannie tiendrait donc à notre peu d’empressement à secouer ce joug qui nous presse. Chaque zeste manqué engendre des conséquences qui sont perçues comme une punition juste. Une sorte de condamnation divine similaire à ce que l’on prophétise aux homosexuels à propos du SIDA.

Certes, certains parmi vous qui me lisez doivent le penser. Pourtant, ce type de raisonnement ne tient pas. Le SIDA frappant plus d’hétérosexuels et le malheur fondant invariablement sur les "gentils" que les "méchants".

Ce discours nous vient du tréfond des âges, il n’a pas été inventé par de trop célèbres oulémas véreux, et il préexistait même au judaïsme. C’est en réalité un procédé de domination qui instille au sein des peuples le poison de leur prétendue incompétence, de leur prétendue indignité du statut d’êtres humains, de leur mérite de subir la punition d’un tyran ou d’un dieu. Par la culpabilité, on voudrait nous voir renoncer à nos arguments en vue d’un monde meilleur et abandonner ce "fardeau" à d’autres, trop heureux de le récupérer pour leur profit.

Il s’agît de nous faire baisser la tête, rougir de honte, nous renier nous mêmes pour épouser des causes que des hommes fiers et libres rejetteraient sans cérémonie.

Ce fût ainsi que le christianisme domina l’Occident avant que ce dernier ne se rebelle, et c’est ainsi que notre sorte de clergé à nous nous domine là ou il le peut encore, et c’est ainsi que là ou ils ont récupéré la manne, des tyrans continuent de nous asservir en tuant notre foi en nous mêmes.

Certains opposants se croient bien inspirés de reprendre à leur compte cet art subversif, pensant nous éveiller à notre propre déchéance, ils ne font que nous injecter des piqures de rappel... c’en est même parfois à douter leur sincérité.

Car, pour clore ce point du texte, observez donc comment réagît le commun des mortels face à ce genre d’incriminations. Il se couche face à tous les discours paternalistes, et pourtant ces thuriféraires ne sont jamais mieux placés qu’eux pour parler ainsi. Méfions nous des discours empreints d’une moralité ostentatoire. Chaque tunisien à ses raisons de ne pas se mouiller trop explicitement, c’est une stratégie de survie, la meilleure car le jour ou suffisamment de nos compatriotes seront prêts à l’action, alors nous serons là pour gonfler les rangs et atteindre la taille critique nécessaire pour renverser ce régime à un moindre prix. N’allons donc pas à l’abattoir, trop peu nombreux nous échouerions et cela repousserait d’autant plus notre heure en permettant à un régime encore fort de nous éliminer un par un, annulant notre véritable force : le nombre !

Enfin, il me semble encore bon de rappeler à quel point les discours propageant le défaitisme et le mépris de soi et de ses concitoyens ressemblent à de la haute trahison. Tuer en nous notre moral et notre confiance en nous mêmes, notre amour propre, c’est nous enlever l’envie d’être libres, puisque nous ne le mériterions pas ! Nous traiter en mineurs, c’est nous acculer à subir leçon sur leçon, des leçons dont seuls les donneurs connaissent les conséquences. Lesquelles leur sont profitables à eux !

Notre peuple, bientôt, dira non. L’aventure commencera par ce "NON". Et le véritable réveil, ce sera pour nous de retrouver notre confiance et notre dignité, pour accomplir notre révolution sur nous mêmes, celle qui nous autorisera nous aussi à penser, à élaborer et à ne pas laisser à d’autres le soin de dire la messe. Chaque tunisienne, chaque tunisien est capable de gérer sa vie, de participer à la guidée de la nation en vertu d’un bon sens qui est la chose la mieux partagée de tous. Mais en l’absence de prise de conscience, en vertu de la haute teneur en "moraline" des discours tenus au sein du public, ce bon sens n’apparaît pas encore comme une évidence. Osez seulement tenir en suspicion tous les discours qui recueillent l’assentiment du grand nombre, et vous verrez par vous mêmes quels mensonges ils entretiennent.

Osez seulement !