L'Ordre des Prêcheurs
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Histoire  
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5. L'envoi des frères par saint Dominique

a Pentecôte 1217 fut une date déterminante pour la vie de saint Dominique et pour l'histoire de l'Ordre. Jourdain de Saxe raconte ainsi l'événement: " Il invoqua le Saint-Esprit, convoqua tous les frères et leur dit qu'il avait pris dans son coeur la décision de les envoyer tous à travers le monde, en dépit de leur petit nombre [...]. Chacun s'étonna de l'entendre prononcer catégoriquement une décision si rapidement prise. Mais l'autorité manifeste que lui donnait la sainteté les animait si bien qu'ils acquiescèrent avec assez de facilité. "

Il ne semble pourtant pas qu'ils se soient mis d'accord si aisément... Les objections les plus justifiées furent assurément celles qui vinrent de la communauté elle-même. C'était, et c'est toujours, contraire à toute expérience humaine que de disperser et semer à tout vent les membres d'une petite communauté récemment fondée. A quoi bon avoir prescrit des observances bien pesées, à quoi bon avoir rédigé des instructions pour le maître des novices, si ceux qui les avaient décidées n'avaient pas la possibilité de les mettre à l'épreuve, au moins pendant quelque temps ? Si l'on se bornait à considérer l'expérience, le plan de Dominique devait paraître inconsidéré, dangereux. Effectivement, quelques-unes des intentions fondamentales de Dominique échouèrent tout d'abord. Cela ne doit pas surprendre. Dans ce petit groupe, il n'y avait guère de personnalités dominantes. Le père Vicaire, dont le travail sur Dominique et l'origine de l'ordre est exhaustif, note, à ce propos, que les premiers frères étaient " simples en général et faiblement instruits pour la plupart. Il en est qui ont peur des sacrifices, d'autres qui perdent pied dans les difficultés matérielles ". Pour eux un temps de probation assez prolongé sous la direction de Dominique eût été précieux. Mais le fondateur ne fut pas ébranlé, et il répondit aux objections des frères: " Ne vous opposez pas à moi, je sais ce que je fais. "

C'était là un argument d'autorité. N'essayons pas de justifier cette attitude en remarquant que " l'histoire lui a donné raison ". On peut toujours commenter a posteriori les décisions historiques, bonnes ou mauvaises. Dans ce cas la décision prise ne peut s'expliquer que par ce qu'on appelle, en langage chrétien, " charisme " et " inspiration " ; nous pénétrons là dans les secrets d'une relation intime entre Dieu qui donne ce charisme, cette inspiration et celui qui les reçoit. Quand on est à l'extérieur on ne peut que pressentir - à la seule condition d'être ouvert à cette dimension de la foi - leur présence chez celui qui les a reçus. Les frères y étaient certainement ouverts, et c'est ainsi qu'il faut comprendre la conclusion de Jourdain de Saxe: les frères étaient " pleins d'espoir quant à l'heureuse issue de cette décision ".

A l'Assomption, le petite groupe se réunit une dernière fois pour célébrer la messe ensemble. Puis ils se séparèrent. Un certain nombre, parmi eux, ne se revirent plus. Deux groupes se dirigèrent séparément vers Paris pour s'y établir. Un autre groupe fit route vers Madrid. Un autre encore se dirigea vers l'Espagne, mais il abandonna bientôt. Dans le couvent de Toulouse restaient seulement quelques frères originaires de la ville ou de ses environs immédiats.

Alors commença pour Dominique une période de voyages qu'il fit à pied, en tant que prédicateur apostolique. Comme aux établissements d'Espagne et de France s'ajoutèrent bientôt des fondations en Italie, il était constamment sur les routes de ces pays. D'après les dépositions de ses frères, dans aucun de ces couvents il n'avait de cellule personnelle: il couchait dans la cellule d'un frère absent ou simplement sur une litière de paille dans un coin d'une pièce vide; et d'ailleurs il passait une partie de ses nuits en prière dans la chapelle ou l'église du couvent. Comme il allait à pied, il ne prenait que le strict nécessaire. Certes, il recevait dans les couvents ce qu'il lui fallait. Mais à longueur d'année ce renoncement au minimum de biens personnels dont chacun, à vrai dire, a besoin pour pouvoir à l'occasion s'en servir faisait partie de sa conception personnelle de la pauvreté apostolique, qu'il n'imposa sans doute jamais à ses frères à ce point.

Dans les quelques années qui lui restaient encore à vivre, il se consacra surtout aux couvents nouvellement fondés. Non seulement il visitait les établissements déjà existants, mais il préparait aussi le terrain pour de nouvelles fondations. Ainsi il est probable que la fondation du couvent de Bologne fut due à son initiative lorsque, au cours de l'hiver 1217, il alla de Toulouse à Rome, où il devait demander, et recevoir, de nouvelles lettres de recommandation du pape pour l'ordre des prêcheurs. Ces bulles étaient très importantes: d'abord, en dehors de la région de Toulouse et de Narbonne, le nouvel ordre était encore tout à fait inconnu; ensuite, cette forme de vie conventuelle et surtout cette activité de prédication, de la part de clercs qui n'étaient pas des prélats (auxquels auparavant le soin de prêcher était réservé), devaient, évidemment, rencontrer les réticences et la méfiance des évêques et du clergé local.

Durant l'été 1218, il en fut de même lors de son voyage en Espagne. Treize ans auparavant, à la suite de l'évêque d'Osma, il avait, en se dirigeant vers la France et le Danemark, traversé à cheval les Pyrénées: c'est ce que peut nous évoquer, sur le sarcophage du saint évêque Pedro dans la salle du chapitre d'Osma, la chevauchée d'un chanoine accompagné d'un serviteur (voir planche 14). Cette fois, avec un de ses frères, Dominique franchit à pied les montagnes, prêchant dans les villes et les villages et vivant des aumônes qu'on leur accordait.

A Madrid, il rendit visite aux deux frères qu'il y avait envoyés l'année précédente et fonda le premier couvent espagnol de moniales dominicaines. Ces religieuses reçurent une lettre de lui qui a été conservée: c'est le seul document que nous connaissions écrit de sa main. Rédigée en style très sobre, elle donne des avertissements d'ordre pratique et d'ordre spirituel, entre autres celui-ci qui pourrait provenir des instructions aux maîtres des novices que nous avons citées: " Ne bavardez pas entre vous et ne perdez pas votre temps à des rencontres. " Pas un mot de trop, pas une de ces fleurs de rhétorique pieuse dont les lettres d'édification sont si riches au Moyen Age.

A Ségovie on donna à Dominique une maison. Quelques frères s'y installèrent et en firent un couvent. (C'est ainsi que naquirent bien d'autres couvents en Espagne, en France, en Italie et en Allemagne.) Vers le mois de mai 1219, Dominique faisait route vers Toulouse pour visiter le couvent Saint-Romain. Là, le frère Bertrand l'attendait avec des nouvelles de Paris. Et tous deux repartirent pour cette ville.

Quelques semaines ne s'étaient pas écoulées que Dominique repartait pour Bologne. Là, sous la direction du frère Réginald d'Orléans, en peu de temps, d'un misérable hospice on avait fait un couvent, près de l'église S. Niccolô. Comme à Paris ce furent surtout de jeunes étudiants de l'uni versité qui entrèrent dans l'ordre, mais des professeurs aussi demandè rent à s'y agréger et, à leur tour, lui amenèrent de nouvelles recrues. Évidemment, dans une communauté qui avait grandi aussi vite et dont les racines étaient aussi diverses, il y eut des crises. Plusieurs des jeunes gens qui étaient entrés avec enthousiasme capitulèrent devant les exigences sévères de la pauvreté apostolique. Et Réginald dut avoir plus d'une fois recours à toute son éloquence et à toute son autorité pour éviter des divisions à l'intérieur de la communauté.

Dominique décida de s'établir définitivement à Bologne. Selon Jourdain de Saxe, ce fut pour veiller sur les jeunes frères qui s'y trouvaient déjà nombreux, pour " façonner l'enfance encore tendre de la nouvelle pépinière ". D'autres motifs ont pu jouer, et notamment l'état de sa santé. Mous savons que depuis des années il souffrait de l'estomac et de l'intestin. Il n'en disait rien, continuait sa vie ascétique et consacrait de longues heures à la prière nocturne dans l'église. Mais l'épuisement dû à de longues marches, les voyages avec tout ce qu'ils entraînaient d'imprévu et d'incommodités altéraient sa santé à la longue. Comme la situation du couvent de Paris restait aussi difficile, il y envoya le frère Réginald. Il pensait que celui-ci, français, était le plus désigné pour triompher des résistances, d'autant plus qu'avant d'entrer dans l'ordre il avait été professeur à l'université de Paris et doyen à Orléans. Mais peu de temps après son arrivée à Paris, Réginald mourut.

Réginald était non seulement un éminent théologien, mais un remarquable prédicateur qui, à Bologne, enthousiasmait ses auditeurs. Jourdain en parle comme d'un " nouvel Élie " et dit qu'il " mettait tout Bologne en effervescence ". Des étudiants qu'il avait conquis pour l'ordre dans cette ville, il était aimé et honoré, et quand Dominique, à regret, l'envoya à Paris, chacun des jeunes frères " pleura de se voir si tôt arraché au sein aimant d'une mère à laquelle ils étaient accoutumés ". L'expression peut sembler un peu trop imagée, mais elle caractérise bien cette aptitude à aimer qui était chez lui un charisme particulier. Jourdain raconte aussi à son sujet qu'un certain frère, qui l'avait connu dans le monde " vaniteux et difficile dans sa délicatesse, l'interrogea avec étonnement : "N'éprouvez-vous pas quelque répugnance, Maître, à cet habit que vous avez pris ?" Mais lui, en baissant la tête: "Je crois n'avoir aucun mérite à vivre dans cet ordre, car j'y ai toujours trouvé trop de joie." " Sur le tombeau de Dominique à Bologne, Nicola Pisano a immortalisé cette amitié en montrant Réginald faisant profession entre les mains du fondateur.

Réginald ne fut pas le seul à quitter Bologne: Dominique partit bientôt, lui aussi, pour se rendre à Viterbe où, à la suite d'une émeute à Rome, la cour pontificale s'était installée. Il voulait obtenir du pape de nouvelles lettres de recommandation pour l'ordre, en particulier pour le couvent de Paris. Honorius acquiesça à toutes ses demandes, fit envoyer aux évêques de nouvelles bulles de recommandation et obtint finalement pour les frères de Paris le droit de prêcher dans leur chapelle. Dominique demeura à Viterbe et à Rome plus longtemps que prévu, et ses contacts avec le pape, au cours de l'hiver 1219-1220, furent de plus en plus étroits et confiants. Honorius III n'avait sans doute pas les capacités politiques de son prédécesseur Innocent III et il ne conçut pas d'autre réforme de l'Église que celle qu'Innocent avait exposée au concile de Latran, mais il appuya cette réforme avec prudence et contribua à son exécution. Non seulement il se montra ouvert aux idées de Dominique, mais il les soutint partout où il le put. Il lui confia une nouvelle tâche qui entrait dans ce plan de réforme et correspondait, d'ailleurs, aux intentions du fondateur des prêcheurs; celle de réformer, à Rome, certains monastères de femmes.

Il s'agissait de couvents tombés en décadence temporellement et spirituellement. Dominique forma le projet de rassembler les moniales de plusieurs couvents dans le monastère de Saint-Sixte, que peu de mois auparavant le pape Honorius III lui avait cédé et qui à force de travail était devenu habitable pour quelques frères. Ce projet rencontra, comme on pouvait 's'y attendre, une forte résistance de la part des religieuses - pour la plupart issues de la noblesse romaine -, car il s'agissait d'abandonner des lieux honorés de longue date. En outre, Saint-Sixte était situé dans un quartier marécageux, et donc malsain. Enfin, on n'appréciait pas du tout le projet de Dominique: faire venir des religieuses de Prouille pour veiller à ce que la réforme soit observée. A force d'entretiens et d'exhortations, Dominique réussit enfin à persuader les moniales de la nécessité de ce changement, malgré leur répugnance à accepter la clôture stricte qu'il impliquait et à laquelle elles n'étaient pas habituées. Il y eut, certes, des réactions violentes de la part de leurs familles qui essayèrent de les retenir par la force. Mais en fin de compte, en avril 1220, Dominique put recevoir dans la clôture le dernier groupe de moniales.

A cette installation se rattache une légende. Dans le monastère Sainte-Marie-in-Tempulo se trouvait une image vénérée de la Madone, qu'on prétendait avoir été peinte par saint Luc. On affirmait que cette image ne se laisserait jamais emporter ailleurs. Les soeurs posèrent donc comme condition qu'elles pourraient revenir dans leur ancien couvent au cas où l'image miraculeuse " résisterait " à son transfert à Saint-Sixte. Dominique en fut d'accord. Comme on craignait un soulèvement de la population romaine, l'image fut transportée de nuit en procession solennelle. Elle ne manifesta nullement l'intention de retourner à l'emplacement primitif : les soeurs restèrent donc à Saint-Sixte, et l'image se trouve toujours dans le couvent qui a succédé à celui des soeurs de Saint-Sixte, au même endroit, sur le Monte Mario.

Pour les frères qui jusqu'alors étaient installés à Saint-Sixte, il fallait obtenir une nouvelle résidence: elle se trouva à Sainte-Sabine, sur l'Aventin. Près de la célèbre basilique du Ve siècle, les frères purent installer un modeste couvent. Aujourd'hui, ce couvent de Sainte-Sabine est le siège du maître de l'ordre des prêcheurs, et il n'est pour ainsi dire personne, parmi les nombreux dominicains qui se rendent à Rome au cours de leur vie religieuse, qui néglige d'aller prier dans la cellule étroite et basse que Dominique, quand il séjournait dans la ville, utilisait pour y passer la nuit. END OF ARTICLE

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(Source : Hertz, Anselm. Nils Loose, Helmuth. Dominique et les dominicains. Cerf, 1987.)

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