Revue républicaine La cafetière L’œuvre de Théophile Gautier a des facettes différentes ; en effet le théoricien de l’Art pour l’Art, l’auteur du Capitaine Fracasse écrivait également des récits fantastiques (Ils sont au programme de la classe de seconde). La Cafetière dont le sous-titre est Conte fantastique permet de découvrir comment ce genre joue avec le statut de l’objet. La description met en scène un ameublement d’époque Le narrateur au début du récit découvre la chambre que son hôte propriétaire "d’une terre au fond de la Normandie" lui a attribuée. L’étude des lignes 20 à 35 dans les Classiques Larousse montre aux élèves l’effet de réel que peut créer une accumulation d’objets. On peut leur demander de retrouver les éléments qui identifient précisément les objets, puis d’analyser les interventions du narrateur. La présence des objets prend ici une visée documentaire, le vocabulaire est précis, voire savant : les meubles sont datés "temps de la Régence", classés dans un style "rocaille", attribués à un artiste précis "les dessus de porte de Boucher". Les énumérations ne semblent laisser aucun vide, le narrateur insiste sur l’impression d’encombrement : "les meubles surchargés d’ornements de rocaille", "la toilette couverte de boîtes à peignes", "deux ou trois robes de couleurs changeantes, un éventail semé de paillettes d’argent, jonchaient le parquet". De plus, chaque objet semble porter d’autres objets comme les "boîtes à peignes". Le narrateur renforce leur présence par un jugement esthétique : "les meubles surchargés [...] du plus mauvais goût", "les trumeaux des glaces sculptés lourdement". Une phrase, banale, vient ancrer l’objet dans le réel : "après que le domestique déposant son bougeoir sur la table de nuit, m’eut souhaité un bon somme". Enfin ces objets nient le passage du temps ; "on aurait pu se croire au temps de la Régence", "la toilette [...] paraissait avoir servi la veille", "une tabatière [...] pleine de tabac encore frais". La description se fait ici inventaire des choses qui occupent et même envahissent l’espace. On pense à M. Butor dans Philosophie de l’ameublement écrivant à propos de Balzac : "quelle invasion !", et qualifiant les objets d’"os du temps", "de fossiles de la réalité humaine". Dans La Cafetière le narrateur apparaît au début du récit comme un paléontologue observant "avec étonnement" les traces d’une civilisation disparue. Si l’on considère, comme M. Butor, que "produire un phénomène d’ameublement" permet de "mettre en évidence l’ébranlement d’une société", le fait de choisir comme Gautier dans La Cafetière des objets "Régence" n’est pas dépourvu de signification. Les objets s’animent dans le récit L’étude du récit, des lignes 55 à 94, illustre à merveille la phrase de R. Caillois : "le fantastique suppose la solidité du monde réel, mais pour mieux la ravager" ; en effet le récit s’emballe et les objets s’animent. Les élèves peuvent dans un premier temps observer et commenter les verbes dont les sujets sont des objets, puis étudier les interventions du narrateur pour montrer que les objets deviennent des personnages. "La pendule sonna", "les bougies s’allumèrent", "le soufflet [...] se prit à souffler le feu", "les pincettes fourgonnaient", "une cafetière se jeta en bas d’une table, [...] et se dirigea [...] vers le foyer", "les fauteuils commencèrent à s’ébranler, et [...] vinrent se ranger autour de la cheminée", "un des portraits [...] sortit la tête de son cadre et [...] sauta par terre [...] tira de la poche de son pourpoint une clé", "tous les cadres s’élargirent de façon à laisser passer aisément les figures qu’ils renfermaient", "la cafetière sauta légèrement sur la table", "des tasses du Japon [...] accoururent". Les objets deviennent sujets de verbes de mouvement et d’action et le narrateur insiste sur leur autonomie par l’emploi des réfléchis, par une précision : "les bougies s’allumèrent toutes seules", par le refus de la présence humaine : "le soufflet, sans qu’ aucun être visible lui imprimât le mouvement", par une comparaison qui conduit à la personnification : "le soufflet [...] en râlant comme un vieillard asthmatique". La désignation à deux reprises des portraits fait des objets les nouveaux personnages : "tous ces personnages", puis "ces dignes personnages s’assirent". Le narrateur reste passif : "je ne savais que penser de ce que je voyais", "tous ces personnages présentaient un spectacle si bizarre, que, malgré ma frayeur, je ne pus m’empêcher de rire" ; il souligne l’étrangeté de son récit : "je n’ose pas dire ce qui arriva, personne ne me croirait, et l’on me prendrait pour un fou" puis, "ce qui me restait à voir était encore bien plus extraordinaire" et authentifie par l’emploi de la première personne la nouvelle dimension que prennent les objets. Le temps continue à jouer un rôle car c’est la pendule qui donne le signal de l’animation. "Un des portraits, le plus ancien de tous", sort du cadre en premier : ce sont les personnages du passé le plus reculé qui reprennent vie d’abord. La scène d’amour L’étude des lignes 141 à 223 donne une autre dimension à l’objet fantastique. Il peut être intéressant de demander aux élèves de relever et de commenter ce qui, dans cette scène, crée une impression d’authenticité et ce qui au contraire intrigue et surprend. Le portrait précis et détaillé du personnage de femme et l’évocation d’éléments concrets comme "la peau", "les cils", "les cheveux" contribuent à lui donner une existence. De plus les objets qui l’entourent sont mis en valeur : "Elle était assise dans une bergère". Enfin, le récit à la première personne met au premier plan les sensations du narrateur personnage de la scène. La vue est sollicitée : "je vis", "mes yeux" "prunelles bleues", "cheveux d’un blond cendré", de même que l’ouïe : "la musique qui n’avait cessé de jouer", le toucher : "le sein de la jeune fille touchait ma poitrine, sa joue veloutée effleurait la mienne" et l’odorat : "son haleine suave flottait sur ma bouche". Les fragments d’un dialogue amoureux font de ce passage une véritable scène d’amour autour du thème traditionnel du bal : "Angéla, vous êtes lasse, lui dis-je, reposons-nous.
Pourtant la scène est remplie d’éléments étranges évoquant un autre monde comme les superlatifs qui animent le portrait : "Jamais même en rêve, rien d’aussi parfait ne s’était présenté à mes yeux", les termes qui désignent la femme aimée : "cette mystérieuse et fantasque créature" les commentaires du narrateur : "je me dirigeai vers elle conduit par quelque chose qui agissait en moi sans que je pusse m’en rendre compte", "par un prodige bien étrange", "les assistants [...] frappaient de toutes leurs forces dans leurs mains, qui ne rendaient aucun son", "la voix au timbre d’argent" dont l’origine n’est pas précisée, le coup de théâtre final : "je ne trouvai rien que la cafetière brisée en mille morceaux" et la conclusion du narrateur "persuadé que j’avais été le jouet de quelque illusion diabolique, une telle frayeur s’emparademoi,que je m’évanouis". Le choix du mot "jouet" fait du narrateur un objet au moment même où il découvre la métamorphose d’Angéla en cafetière, les personnages ne sont donc plus que des objets à la fin de la scène. L’émotion intense du narrateur : "mon sang se fige rien que d’y penser", le fait qu’il était seul dans son lit au début du récit, le côté érotique de la danse font du fantastique une des formes de sublimation du désordre amoureux. Comme le décrit Freud à propos d’Hoffmann, le personnage ne se reconnaît plus lui-même et l’être aimé n’est plus qu’un objet dans la transe du désir. Le rapprochement entre Gautier et Hoffmann se justifie par le thème de l’héroïne froide et inaccessible, par le choix du prénom Angéla qui est celui de l’héroïne d’un des contes d’Hoffmann, mais aussi par l’étude que Gautier a consacrée à l’auteur allemand : Onuphrius ou les Vexations fantastiques d’un admirateur d’Hoffmann. Dans cette étude Gautier écrit : "le merveilleux d’Hoffmann n’est pas celui des contes de fées ; il a toujours un pied dans le monde réel". C’est le mélange de réel et d’irréel qui crée l’étrangeté du sentiment amoureux. Le temps, leitmotiv du récit, sépare les amoureux comme dans Cendrillon : "Quand l’aiguille sera là, nous verrons mon cher Théodore", mais s’il se rapproche du conte, ce thème évoque le théâtre romantique grâce à l’alouette shakespearienne. Épilogue L’étude du dénouement, des lignes 246 à la fin, donne toute sa dimension au traitement fantastique de l’objet. On peut demander aux élèves de justifier le choix du titre et d’étudier le personnage du narrateur dans le passage. L’explication du titre se trouve dans la rationalisation finale de la scène : "ce qui m’avait semblé tout à l’heure une cafetière était bien réellement le profil doux et mélancolique d’Angéla.", où l’insistance des adverbes cherche à corriger le côté merveilleux du rapprochement. Le narrateur semble s’éloigner de la vie : "je ne mangeai presque pas, le souvenir de ce qui s’était passé me causait d’étranges distractions". "Je venais de comprendre qu’il n’y avait plus pour moi de bonheur sur la terre". Le récit se ferme sur les souffrances du narrateur grâce à l’adverbe "douloureusement", à l’évocation de la "larme" ; on est bien loin du rire lors de l’animation des objets et du doux bonheur de la valse avec Angéla. Le message de Gautier n’est pourtant pas totalement négatif puisque l’art, permet de faire revivre la cafetière et la femme aimée : "Les linéaments presque imperceptibles tracés par mon crayon [...] se trouvèrent représenter avec la plus merveilleuse exactitude la cafetière qui avait joué un rôle si important dans les scènes de la nuit". C’est étonnant comme cette tête ressemble à ma sœur Angéla", dit l’hôte. L’art seul peut évoquer la duplicité des choses. Il est alors intéressant de montrer aux élèves d’autres textes de Gautier pour donner à l’objet toute son importance dans l’œuvre de l’auteur. - Un texte argumentatif extrait de la préface de Mademoiselle de Maupin, texte essentiel de la théorie de l’Art pour l’Art, dans lequel il dénonce les critiques utilitaires : "un roman n’est pas une paire de bottes sans couture, un sonnet, une seringue à jet continu". L’énumération d’objets est ici reprise dans un but polémique pour ironiser sur ceux qui défendent l’art utile. - Un texte romanesque : l’extrait du Capitaine Fracasse où l’arrivée des comédiens redonne de la vie au château de la misère :"La chambre morte avait repris une espèce de vie. De faibles rougeurs coloraient les joues pâles des portraits, et si les douairières vertueuses, engoncées dans leurs collerettes et roides sous leur vertugadin, prenaient un air pincé à l’aspect des jeunes comédiennes folâtrant dans ce grave manoir, en revanche, les guerriers et les Chevaliers de Malte semblaient leur sourire du fond de leur cadre et se trouver heureux d’assister à pareille fête". - Un texte poétique, extrait d’Emaux et camées où l’on trouve les vers suivants : "Que ton rêve flottant
L’objet le plus utilitaire, la cafetière, grâce aux pouvoirs du récit fantastique, a donné forme à un rêve. Catherine Jorgensen
Théophile Gautier, la FNAC.
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